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La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire

Bibliothèque de l’amateur d’art par Gérard-Georges Lemaire
L’Affaire Vargas, Fernando Pessoa, traduit du portugais et présenté par Michelle Giudicelli, Folio, 182 p., 6,50 €.

Il semblerait que la mythique malle de Fernando Pessoa qui contient tant de textes inédits, soit inépuisable. Il n’y a pas une année où l’on n’en retire pas un inédit. C’est le cas de l’Affaire Vargas, composée à une date indéterminée et surtout inachevée. C’est, à notre connaissance, le seul roman policier écrit par Pessoa. Mais s’agit vraiment d’un roman noir ou d’autre chose travestit sous cette forme ? Il manque trop de chapitres pour qu’on puisse avancer des hypothèses vaguement probables. Tout ce qu’on peut dire est que son héros s’appelle Borges, comme si ce texte avait placé sous le signe d’une colossale mystification littéraire ! Au début, en 1907, l’intrigue est à peu près compréhensible : un homme (ce Borges) recherche un individu nommé Carlos Vargas. La raison de cette recherche : le règlement d’une dette. Mais cet Vargas est retrouvé mort sur la route déserte de Bruxa. Vargas aurait volé les plans d’un sous-marin que détenait l’officier Pavia Mendes. L’affaire ne cesse dès lors de se compliquer au point qu’on en perd tout à fait le fil, d’autant plus que des pans entiers de l’histoire font défaut. A la fin, on peut lire un long passage sur le crime, la paranoïa et la folie qui est un véritable morceau d’anthologie. Qui prononce ce savant discours ? Nous l’ignorons. En somme, Pessoa n’est-il qu’un autre hétéronymes qui a pris sa liberté ? Je serais porté à croire qu’il existe au ministère de la culture du Portugal un bureau spécial qui a pour mission de produire des faux écrits de Pessoa, pour alimenter la légende et donner aux éditeurs de quoi faire avance la locomotive éditoriale. Je dois avouer que l’idée ne me déplaît pas. Un poète qui a voulu être tous les poètes, du bucolique antique au futuriste le plus déchaîné sous des noms d’emprunt ne peut que susciter une pareille fiction. Les universités et le CNRS de tous les pays de l’univers n’en finiront jamais d’éplucher ces pages qui se multiplient à l’infini et où le faux ne pourra jamais se distinguer du vrai. Pessoa est un génie : il a inventé ce Pessoa (« personne » dans sa langue native) qui est devenu une foule d’auteurs. Dumas avait déjà engendré pas mal d’ambiguïtés dans sa production avec ses collaborateurs directeurs et ses nègres. Là, c’est une production de masse ininterrompu qui est en marche - enfin, tel que je le vois !

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Bibliothèque de l’amateur d’art par Gérard-Georges Lemaire
Madalyn, Michael Kölmeier, traduit de l’allemand par par Stéphanie Lux, Editions Jacqueline Chambon, 226 p., 2&, 80 €.

C’est l’histoire d’une relation étrange, profonde et ambiguë qu’entretien le narrateur et une toute jeune fille, Madalyn. Cet homme d’âge est en train d’écrire un roman qui lui donne pas mal fil à recoudre. Madalyn tombe amoureuse pour la première fois d’un garçon qui se prénomme Moritz. Cette amour juvénile est un peu compliquée et malheureuse. Chaotique. La lycéenne ne peut pas en parler à ses parents. Elle va donc confier ses émois et ses doutes, ses sentiments et ses émotions à cet homme d’âge mûr. Celui-ci l’écoute, mais tente ne pas tomber dans le piège de l’intimité -, il ne veut pas remplacer son père, même de manière symbolique. En même temps il se passionne pour cette idylle et prend en grippe Moritz. Cela s’explique non par une jalousie inavouée, mais parce qu’il identifie de plus en plus ce Moritz avec le héros de sa fiction. Il ne prête guère crédit aux faits et aux gestes de ce dernier. C’est le passage de la création de son personnage à la figure du jeune homme qu’aime Madalyn qui est sans aucun doute la part la plus intéressante de cet ouvrage. La réserve que je ferais à son encontre est que l’auteur « colle » trop à la réalité. Il se perd en vaine description digne du roman du XIXe siècle. Cela ralentit la narration et la ramène à un réalisme un peu suranné. Il n’en reste pas moins vrai que c’est un livre curieux et original. S’il l’avait écrit avec un peu plus d’invention et en oubliant les règles de la composition du passé, peut-être aurait-il pu en faire un grand livre. Il s’est lui-même bridé en s’attachant trop à cette manière de concevoir la fiction et en mettant en relief des détails superflus.

 

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