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ID : 70
N°Verso : 67
Littérature et Photographie
Titre : Claude Simon : Transtextualité, le dévoilement oblique, dans Le Jardin des Plantes
Auteur(s) : par Michelle Labbé
Date : 30/03/2013


Claude Simon : Transtextualité, le dévoilement oblique, dans Le Jardin des Plantes
par Michelle Labbé

« Difficile », « ennuyeux », « illisible » ;, « confus [1] » : c’est avec amertume, que Claude Simon évoque, dans son discours de Stockholm, en 1985, les reproches de la critique, l’incompréhension dans laquelle ses romans ont été reçus, du moins aux USA et en France. Pourtant, conscient de la nouveauté de son œuvre, il avait indiqué, dans ses romans mêmes, ce que l’Ecole de Constance, avec Wolgang Iser, appelle le « code de lecture ». Les recherches sur la réception du texte, tout en évoquant voire en admettant des interprétations extrêmement diverses, montrent que toute écriture tend à préparer sa lecture, « ...un texte met en scène son propre code[2]  ».
        C’est d’autant plus vrai pour le Jardin des Plantes, l’une des dernières œuvres de Claude Simon, publiée en 1997, celle qu’il choisit pour clore l’édition de la Pléiade et qui, par la précision de son code, liée à la profusion de sa transtextualité[3], toutes modalités comprises, questionne le roman comme genre, instaure un échange avec d’autres auteurs, interpelle le lecteur et pourrait faire figure de testament poétique.
        Abondent les épigraphes et les citations empruntées aux grands de la littérature : Montaigne, Dostoïevski, Flaubert, Proust, Conrad. Il arrive aussi que s’établisse, à l’intérieur de l’œuvre, un dialogue avec les compagnons de route d’un moment: Brodski, Arthur Miller, Jean Ricardou ou Alain Robbe Grillet, avec le peintre Gastone Novelli, avec des personnages de Proust ou de Dostoïevski : Madame de Cambremer, Stavroguine et Kirilov. Traversent le texte des évocations de visites (chez Picasso ou Leiris) ou extraits de forum, de colloques, de procès, d’interview qui se quittent et se reprennent d’un paragraphe à l’autre, d’une partie du roman à l’autre. Si l’on y ajoute les rapports repris à Churchill ou Rommel, les lettres personnelles, les cartes postales, si l’on considère que la plupart des passages d’inspiration autobiographique ont été déjà traités dans des œuvres précédentes, qu’il y est par exemple fait allusion à La Route des Flandres, le Jardin des Plantes paraît par excellence transtextualité et dialogisme, mosaïque d’écritures d’origines diverses, mises en relation par leur contiguïté sur la page.
         La question que pose une telle transtextualité est son objectif, le poids à accorder à ce qui est cité ou évoqué.

Le Jardin des Plantes s’ouvre par la mise en question en même temps de la fiction et du réalisme.

        Pour Montaigne et Dostoïevski, qui président en exergue au début de l’œuvre, il ne semble pas envisageable d’écrire autrement que sur ce qu’on a vécu. Pour Dostoïevski, parler de soi, c’est « une inconvenance et une bassesse » mais qui reste inévitable. Pour Montaigne, dans ce qui s’écrit sur soi, impossible d’aboutir à quelque unité : « Nous sommes tous de lopins ». Pour Claude Simon aussi, l’œuvre romanesque, inévitablement d’inspiration autobiographique ne peut transcrire d’emblée l’imprécise et multiple réalité. Afin de représenter un même phénomène, que ce soit le forum de Frounze auquel il participe en 1986 ou la Guerre d’Espagne, certaines pages se composent de polygones distincts, présentant des regards différents, mais s’emboîtant les uns dans les autres comme les divers « lopins » d’un bocage, en même temps fracture et complémentarité. Claude Simon suggère un autre moyen, cinématographique celui là, de montrer ce qui se remémore: « il faudrait plusieurs écrans sur lesquels on projetterait simultanément des images différentes. [4] »

[1] Claude Simon, Le Discours de Stockholm, p. 887, La Pléiade, éditions Gallimard, 2006 ou http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/literature/laureates/1985/simon- lecture-f.html
[2]Wolfgang Iser , L’Acte de lecture,Editions Pierre Mardaga, Bruxelles, 1976, p. 127.
[3] Selon Gérard Genette : « tout ce qui met un texte en relation, manifeste ou secrète, avec un autre texte. » Palimpsestes, Le Seuil, 1982, p. 7
[4] Le Jardin des Plantes, La Pléiade, Gallimard, 2006 (pour l’œuvre de Claude Simon, toutes les citations y seront prises.) p.1055.

 

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