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La bibliothèque de l'amateur d'art
par Gérard-Georges Lemaire


Cibles, Annie Le Brun, Gilbert Titeux, Le Promeneur, 144 p., 30 €.

Je dois avouer que de ma propre initiative je ne me serais jamais passionné pour le monde des cibles. Ce n’est d’ailleurs quelque chose que je ne peux associer qu’à deux choses bien précises : les cibles proposés dans les foires où ma mère m’emmenait – des cibles grises ou en tout cas sans qualité le plus souvent, sans la moindre décoration et même sans la moindre couleur, et puis les cibles des films en noir et blanc de l’entre deux guerres, parfois des années cinquante, où le jeune homme tente d’éblouir la jeune fille en canardant avec une détermination farouche une cible, ce qui lui vaut en général de recevoir un ours en peluche gigantesque. Ce que l’exposition au musée de la Chasse et de la Nature nous fait découvrir, c’est un monde pictural presque insondable. Les supports des cibles ont quelques fois des formes incroyables. Mais le plus curieux est que la plupart du temps elles sont peintes comme des tableaux avec des sujets rupestres ou champêtres. Mais ce n’est pas la majorité : certaines figures des proverbes, d’autres représentent des mythologies et d’autres encore des moments de la vie des individus qui ont eu autrefois un rôle dans la chasse. L’ouvrage nous introduit aussi aux usages des sociétés de tireurs des siècles passés et c’est tout un monde qui se dévoile à nous. L’exposition du musée, comme le bel ouvrage proposé par Le Promeneur, nous donnent l’un et l’autre l’envie de nous passionner pour des sujets qui, au fond, nous indiffère et même n’ont que peu d’attrait à nos yeux. Et c’est là tout un art  - et pas des plus simples !

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Tour des Mondes, Hervé di Rosa, Patrick Amine, Actes Sud, 128 p.

Je me permets de renvoyer le lecteur à ma chronique d’il y a deux numéros où j’ai parler de l’infantilisation de l’art actuel. Hervé di Rosa est l’archétype de genre d’attitude en France. L’art fait cause commune avec la bande dessinée au point de ne plus s’en distinguer que de manière marginale. L’ouvrage est magnifiquement réalisé et l’entretien fait par Patrick Amine est digne d’intérêt. C’est amusant – et révélateur - qu’Hervé di Rosa commence par parler de Piero de la Francesca et de Rembrandt : on a le sentiment qu’une sorte de nostalgie et de mauvaise conscience s’insinuent dans son esprit avant d’illustrer son propre travail. Mais on peut difficilement le suivre, d’autant plus qu’il multiplie les références très cultivées (Roberto Bolaño, par exemple) au cours de sa conversation avec Patrick Amine ! S’il n’avait pas fait ce choix, il ne fait aucun doute qu’il se serait retrouvé sur la touche ou considéré comme une personne bizarre œuvrant sur des choses qui n’ont plus lieu d’être. Et Amine multiplie sans restriction ces références au grand art, à la grande littérature, de Braque à Octavio Paz en passant par Andy Warhol ! On éprouve le sentiment qu’il veut sauver cet art en le plaçant sur le même niveau que tous ces auteurs qu’il cite à satiété. Mais c’est une cause perdue, mon cher Patrick, et tu le sais ! Tu fais les choses avec conscience et un bel acharnement. Mais comment te croire ? Tu as beau dire, « dont acte » - tout ce qui reste, ce sont tes voyages avec Hervé di Rosa, tes rêveries et tes tours de passe-passe culturels. Mais la culture ne sert pas à faire pendre des vessies pour des lanternes. D’ailleurs, je ne mets pas en doute le talent et le grand savoir-faire de l’artiste. Je mets en doute sa conception de l’art, qui reste un jeu avec le goût (mauvais) de nos contemporains. Une manière de dire : j’aurais pu être Ingres ou Delacroix dans l’optique du XXe siècle, mais je suis Hervé di Rosa parce que vous ne pouvez pas mériter ou comprendre mieux.

 

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