avec le soutien éclat ou éclat
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ID : 105
N°Verso : 70
L'artiste du mois : Véronique Bigo
Titre : Les « Vera icona » de Véronique Bigo
Auteur(s) : par Thierry le Gall
Date : 11/11/2013



Url : www.silo-marseille.fr
Véronique Bigo
La Voleuse d'Objets

Exposition au Silo (Marseille)
35 Quai du Lazaret, 13002 Marseille
14 septembre - 23 décembre 2013

Les « Vera icona » de Véronique Bigo
par Thierry le Gall

Il était bien difficile de reconnaître ici la plume d'André Gide, lequel n'aura jamais, pour d'évidentes raisons chronologiques, évoqué le travail de Véronique Bigo. Son texte parle en fait de Nicolas Poussin, peintre considéré par l'histoire comme le paradigme du classicisme à la française. J'espère que, de là où ils sont, André Gide et Nicolas Poussin me pardonnent ce petit jeu de substitutions : il visait en effet à l'hommage, et surtout à la présentation de modalités de réflexion destinées à ce que nous, spectateurs des œuvres de Véronique Bigo, tentions non pas de copier ces grands esprits, mais de nous faufiler dans les voies qu'ils nous indiquent.

André Gide ne considère pas le travail de Poussin en historien de l'art, mais en écrivain, c'est-à-dire depuis un point de vue d'artiste. Gageons que cette sensibilité particulière n'est pas étrangère à sa sympathie pour l'appréciation d'un autre artiste commentateur de Poussin, Delacroix, qui fait du plus grand des classiques, ô paradoxe... un sain révolutionnaire ! Bien sûr, Delacroix le coloriste, Delacroix au pinceau si peu conformiste ne saurait endosser l'habit du conservatisme lorsqu'il loue l'attachement poussinien aux antiques et à Raphaël. Il doit donc bien se trouver quelque raison au paradoxe qu'il nous propose. Risquons pour le coup une hypothèse d'historien : tous les commentateurs antiques, de Pline à Quintilien en passant par Cicéron, et ceux de la Renaissance à la suite de Vasari, s'accordent pour vanter l'ars, la technê des peintres capables de restituer dans leurs œuvres la plus parfaite illusion du réel. Mais la palme et les grands honneurs vont à d'autres, aux Timanthe, Zeuxis, Parrhasios ou Apelle, et plus tard aux Léonard ou Michel-Ange, aux quelques doués de cet ingenium qu'Aristote appelait avant eux « phantasia », à ceux qu'a touchés cette grâce qui relègue l'ars et la technê au rang d'activité artisanale. Les plus grands, eux, représentent ce qui échappe à nos sens. L'absolu, le sublime, l'invisible, l'ineffable. Leur sujet n'est pas l'objet apparent. Leur puissance et ce qui les distingue tient précisément au fait que le sujet de leur œuvre n'a pas de place explicite dans l'image. Le spectateur est donc littéralement convoqué, sommé de poursuivre, de mettre en branle son potentiel émotif et imaginaire, de s'enfoncer à travers la surface de l'image, faute de quoi il n'appréciera de l'œuvre que le pauvre exercice virtuose. C'est la phantasia qui provoque l'activité du regard. Ce n'est donc pas à un classicisme codifié que Delacroix et André Gide rendent hommage, mais à une quête qui est la plus belle raison de l'art : ils honorent cette force qui fait croire à Nicolas Poussin que la peinture a pour fonction d'élever l'âme.

 

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