avec le soutien éclat ou éclat
hotel de beaute
ID : 105
N°Verso : 70
L'artiste du mois : Véronique Bigo
Titre : Les « Vera icona » de Véronique Bigo
Auteur(s) : par Thierry le Gall
Date : 11/11/2013



Url : www.silo-marseille.fr
Véronique Bigo
La Voleuse d'Objets

Exposition au Silo (Marseille)
35 Quai du Lazaret, 13002 Marseille
14 septembre - 23 décembre 2013

Les « Vera icona » de Véronique Bigo
par Thierry le Gall

L'eikon ainsi advenue, empreinte monochrome sur un voile de lin, est une figuration qui n'a pas pour fonction de produire l'illusion de la présence du Christ. N'y cherchons pas davantage quelque autre motif contextuel illusionniste qui rappellerait le concept de « tableau-fenêtre ouverte sur le monde » qu'Alberti fait triompher à la Renaissance : autour des traits monochromes, seul le lin. Quelques heures avant que le Christ ne disparaisse pour la première fois, le voile de Véronique ne laisse aux hommes que la trace du passage de l'homme-Dieu bientôt retourné à sa substance spirituelle, déjà désincarné, déjà invisible. Des icônes byzantines, de leur fond d'or uniforme devant lequel posent, hiératiques, les figures sans épaisseur et sans ombres du Christ et de la Vierge, Egon Sendler dit qu'elles sont « le reflet des choses invisibles dans la matière ». Les toiles de lin où Véronique Bigo laisse les traces monochromes des objets qu'elle a choisis ne visent pas davantage à créer l'illusion du réel visible. Véronique Bigo ne représente pas des objets matériels, elle représente leurs reflets dans le miroir des concepts et des idées, la trace échappée du temps de leur existence éphémère, leur vérité au-delà des contextes : leur vera icona.

La peinture, fût-elle la plus figurative, procède, en son principe même, d'un acte métaphysique éminemment paradoxal, qui consiste à rendre présent un objet absent, et à faire cela par le fait d'un geste qui le prive de sa substance ; écoutons à ce propos Federico Zuccaro dans son discours du 17 janvier 1594 à l'Académie de Saint-Luc, à Rome : « La peinture, fille et mère du dessin, miroir de l'âme de la nature, par la force de la lumière et des ombres, montre sur un plan couvert de couleurs toutes sortes de formes et de reliefs, sans la substance du corps. »

Miroir de l'âme de la nature... Que reste-t-il en effet d'un corps auquel on a ôté la substance ? Sinon son essence ? Et en conséquence, qu'est-ce que peindre ? Qu'est-ce que produire une vera icona, une vraie image, sinon générer une sensation, une esthétique qui traverse la substance de l'objet représenté pour remonter vers son concept, son essence, son abstraction ? Ainsi, pour que la peinture soit vraiment peinture, une condition émerge à laquelle, selon Gide, Poussin satisfaisait, et qui ne tient ni à la technê ni à la mimésis. Il faut que sous l'effet de l'art le regard traverse la toile ; il faut la transparence de l'image pour que l'âme qui regarde remonte des réalités sensibles vers les réalités essentielles. Pour que la peinture soit vraiment peinture, son esthétique doit porter en elle la capacité à s'effacer au moment précis où elle suscite les conditions de son propre dépassement. Elle doit se donner les moyens plastiques de sa propre disparition, c'est-à-dire se donner non point comme écran qui arrête le regard, mais comme interface poreuse qui emporte la pensée au-delà de son plan superficiel.

 

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