avec le soutien éclat ou éclat
hotel de beaute
ID : 112
N°Verso : 73
L'artiste du mois : Denis Rivière
Titre : Les ciels brouillés de Denis Rivière
Auteur(s) : par Renaud Faroux
Date : 12/02/2014



Deux expositions sont actuellement consacrées à l’œuvre du peintre Denis Rivière : d’une part « Ciels » à la galerie Anne-Marie et Roland Pallade, 35 rue Burdeau 69001 Lyon (jusqu’au 15 mars) et d’autre part « Une aventure plastique » à la galerie Patrice Peltier, 35 rue Guénégaud, 75006 Paris (jusqu’au 8 mars).
Nous publions un texte de Renaud Faroux consacré à la première, et un texte de Denis Rivière lui-même à propos de la seconde.

la galerie Anne-Marie et Roland Pallade

la galerie Patrice Peltier

Les ciels brouillés de Denis Rivière
par Renaud Faroux

Liberté d’aller et venir au gré du vent ! Ce qui semble surtout fasciner Rivière, c’est leur nature protéiforme, symbole peut-être de l’être rendu à sa pureté, abstrait de sa finitude. On songe alors aux nuées anthropomorphiques de Mantegna, de Piero di Cosimo dont ils tirent « les batailles de chevaux et les villes les plus fantastiques et les pays les plus immenses », à la zébrure dorée de la « Tempête » qui déchire le climat vénitien de Giorgione, aux étendues nuageuses infinies des ciels de Véronèse, aux « merveilleux nuages » du plat pays de Ruisdael et Vermeer, aux couchers de soleil du Lorrain. Parfois il semble que c’est l’appétit des signes qui agite le peintre, comme si au-delà du plaisir esthétique que procurent les nuages qui vont se croisant et disparaissent, l’artiste attendait secrètement d’être sollicité par quelque forme particulière, quelque hiéroglyphe, ainsi que ces voyageurs partis « déchiffrer l’alphabet céleste des antipodes ». Ou bien au contraire ne serait-ce pas la pure vacuité signifiante du ciel qui lui plait, l’absence totale de sens qui apaise sa conscience. À moins que les rougeoiements du couchant ne viennent donner au tableau une tonalité angoissante et funèbre devant laquelle Rivière aimerait peut-être à son tour citer le poète des « Fleurs du mal » : « cieux déchirés comme des grèves, en vous se mire mon orgueil, vos vastes nuages en deuil sont les corbillards de mes rêves, et vos lueurs sont le reflet de l’Enfer où mon cœur se plaît. »

Dans ses huiles et pastels, la lumière n’est pas du tout artificielle : elle est précise et normale, comme dans la nature, et telle qu’un physicien scrupuleux peut la désirer. Elle semble venir de la peinture même. Le spectateur naïf s’imaginerait volontiers que le jour glisse entre la toile et la bordure tellement les rayons qui entrent d’un côté du cadre transpercent l’espace jusqu‘à l’autre bord. Grâce à lui chacun de nous vogue sur son propre nuage : on y contrarie l’atmosphère qui s’épanouit sous forme de champignons ; on abat les hautes pressions de nos pensées ; on rase la force de Coriolis qui fait aspirer les vents vers le soleil ; on brise en éclats, on réduit en poussière les fiers cirrus, altocumulus de nos volontés ; on aplatit les cumulonimbus de nos désirs. Dans cette navigation en solitaire, c’est un frémissement, un souffle fragile et puissant qui passent au-dessus de ses étendues immenses. Par ses métaphores climatiques, le peintre nous parle de la vie, du vent, de la fraicheur ou de la chaleur torride, de mouvements esquissés, de tout ce qui est invisible et qui restera après nous, de ce qui s’achève et continuera, de ce qui ne finit pas, d’un espace où l’artiste ne sera plus là pour le voir. Il explique : « je peins des ciels pour marquer ma présence, donner des empreintes de vie, oser aborder le définitif et même la mort. J’essaie de toucher un monde de délicatesse, de l’infini de l’espace, de l’évanescence de la matière. » Face à ses grands pastels panoramiques, il éclaircit sa pensée : « Pour moi il n’y a pas de différence entre l’huile et le pastel ! Avec le pastel il y a une pigmentation, un grain, une profondeur qui me permet d’atteindre des bleus très intenses pour rendre l’absolu de l’étendue. » Devant les tableaux on se croit en haut d’une tour de contrôle et on s’interroge sur les couches de nuages de très haute altitude. On fantasme même devant ses formes onctueuses et lascives et nous nous surprenons à traîner sur le « Quai des brumes » : « Atmosphère, atmosphère… Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » Les turbulences colorées des nuages gardent délicieusement leur mystère.

 

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