Guyomard, le peintre de notre société
par Pierre Brana
J’ai découvert le travail de Gérard Guyomard dans les années 1960 au salon de la Jeune Peinture et dans une galerie qui devait être celle de Camille Renault. De retour de la guerre d’Algérie où, pendant près de deux ans et demi, j’avais été privé de toute rencontre culturelle, j’essayais de rattraper mon retard et de chasser des images obsédantes dans une boulimie de manifestations diverses : du spectacle vivant aux expositions d’art plastique. Comme Gide, j’aurais pu dire « seul l’art m’agrée, parti de l’inquiétude, qui tende à la sérénité » (1). C’était le temps des Nouveaux Réalistes (j’avais assisté à une séance de tirs sur les sacs de peinture de Niki de Saint-Phalle, sans y participer, n’ayant aucune envie de reprendre un fusil) et celui de la Figuration narrative (l’exposition Mythologies quotidiennes m’avait enthousiasmé). Le Pop art américain déferlait sur l’Europe (je le découvrais avec intérêt, parfois avec amusement, notamment les portraits de Marilyn par Andy Warhol à la galerie Sonnabend (2), et apparaissait le réalisme capitaliste de Sigmar Polke et Gerhard Richter, version allemande du Pop art.
Le travail de Gérard Guyomard m’avait frappé car il me semblait puiser avec allégresse dans ces grands courants et dans bien d’autres. Il y avait, bien sûr, de la Figuration narrative (elle apparaîtra encore plus nettement dans les années suivantes), du Pop art, du surréalisme, du dadaïsme, des graffitis, de la caricature, de la BD… Le tout dans une liberté totale confinant au désordre (en réalité savamment maîtrisée) tant au niveau de la composition que des couleurs. Et on peut en déduire, par plusieurs signes, que Gérard Guyomard fut aussi un précurseur de la Figuration libre…
Voyant, aujourd’hui, les reproductions de tableaux de cette époque, je retrouve pleinement mes souvenirs : des femmes nues, des seins généreux et tentateurs, des accouplements divers et variés, des accumulations d’images insolites, des petites culottes qui reviennent aussi souvent que le vélo dont on connaît l’attachement que lui porte le cyclotouriste Guyomard (pour les petites culottes je ne sais pas…) Souvent ces toiles sont des rébus difficiles à déchiffrer – s’il y a à déchiffrer !- et les titres ne nous aident guère, bien au contraire : Le départ en vacances (1963) fait penser à beaucoup de choses mais pas particulièrement aux vacances, de même pour Les godillots du général (1966). Mais où donc sont passés les godillots du général !
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