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ID : 122
N°Verso : 79
L'artiste du mois : Charlotte Guibé
Titre : « Les dîners » de Charlotte Guibé
Auteur(s) : par Belinda Cannone
Date : 15/12/2014



« Les dîners » de Charlotte Guibé
par Belinda Cannone

On s’est laissé aller à une molle rêverie et maintenant on croirait voir, par une fêlure survenue dans le mur en face de soi, sourdre un monde bariolé – personnages et objets –, où l’on reconnaît tout sans être sûr de rien. À moins qu’il s’agisse d’un miroir au tain usé où se reflètent des êtres qui se diluent, et où le bord d’un verre ou le pli d’une nappe qui y surgissent avec netteté rappellent ces paysages de nos nuits où l’échelle des intensités n’est plus celle de la veille, parce que le rêve nous parle un langage autre.
La plupart des figures sont immobiles mais l’image ne l’est pas : les motifs en émergent, dans un lent mouvement qui les rapproche de moi – oui, je sens une émergence.
Contrairement au « merveilleux », qui pose l’existence d’un monde féérique à côté du nôtre, l’univers « fantastique » se situe dans le monde ordinaire, celui que nous connaissons, et il se manifeste par une fissure du réel d’où adviennent des créatures inconnues, très semblables à nous et pourtant autres – des « horlas ». En ce sens (en celui-là seulement), je vois, dans les tableaux de Charlotte Guibé, du fantastique lié au mode d’apparition de leurs éléments.

Ce sont donc des « dîners ». Les personnages ne sont pas ici sur décision du peintre, posant, mais parce que celui-ci les a saisis dans un moment quotidien, familier, où ils étaient assis sans manières, sans intention – moment volé. Mangent-ils ? Peut-être. Ils ont mangé, ils mangeront – mais le tableau les surprend presque toujours dans une pause, pause de la parole comme du geste, il fixe un moment de silence. Plus encore, on a l’impression qu’ils ont été surpris lors d’un repli de l’attention, chacun penché en lui-même, pensif (me faisant l’effet de l’être) et, quand il n’est pas seul, sans communication avec l’autre (ou les autres) convive(s) : aucun ne semble parler – à moins que le peintre ait choisi le moment d’un silence entre eux. Ils figurent la situation classique de l’absorbement : l’artiste s’est posté en face du personnage qui l’ignore, tout occupé à son activité ou à son désœuvrement, et il le représente à son insu.

 

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Verso n°79
L'artiste du mois : Charlotte Guibé
 
 
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