avec le soutien éclat ou éclat
hotel de beaute
ID : 143
N°Verso : 98
L'artiste du mois : Clémence van Lunen
Titre : Raffinement contre rusticité (et vice versa)
Auteur(s) : par Frédéric Bodet
Date : 01/12/2016



Frédéric Bodet
Conservateur chargé des collections modernes et contemporaines. Sèvres, Cité de la céramique.

Clémence van Lunen est représentée par la galerie Polaris, Paris
www.galeriepolaris.com

Raffinement contre rusticité (et vice versa)
par Frédéric Bodet

Ces troublantes sculptures sont façonnées avec une telle vigueur qu’on les croirait taillées à la machette dans un bloc de bois, ce qui rappelle immédiatement un moment fondateur du parcours de l’artiste, dans les années 90, lorsqu’elle s’engageait à trancher et élaguer d’immenses tronçons de platane ou de chênes massifs, qu’elle emboîtait ensuite les uns aux autres par tenons et mortaises pour former de longues sinusoïdales implantées en extérieurs comme à l’intérieur, convulsives (déjà) et suggestivement anthropomorphiques. A cette époque, elle décrivait ainsi sa vision du rapport corps/arbre : « Je m’étonne lorsque je regarde les arbres. Partout des bras, des épaules, ventres et plis, rotules, pieds, peaux, cavités, affaissements et tensions. Pourquoi les arbres nous ressemblent-ils tant ? » Avec la terre et dans ses grandes sculptures-pots, Clémence retrouve une similaire corporalité métonymique avec ces vases bien balancés, nerveux ou placides, dodus et gigotant, fiers à anses potelées comme des bras, collets montés, hanches larges et coiffes épanouies… Leur couverte est picturale et abstraite, recherchant plus volontiers la coulure et la tache que le recouvrement complet et protecteur du tesson. Les couleurs de layette vive, les bruns scatologiques sont passés tel l’échantillon suggéré d’un caractère ou d’un tempérament, plutôt que vrai vêtement double-peau, « pour éviter la trop grande séduction des émaux ».

Mais avant de faire germer d’aussi « méchantes » fleurs, il a bien fallu très longuement préméditer les gestes de modelage ; très différents, on l’a vu, des cycles de travaux précédents. Clémence a réalisé un nombre impressionnant de petites maquettes en terre, mais également – et plus étonnamment avec du papier d’aluminium (celui qu’on utilise à la cuisine pour l’hygiène culinaire). Elle cherche dans le froissage de ces feuilles fines et tranchantes des plissements de matière d’une autre nature – plus nerveux, plus anguleux, pas du tout ceux imposés naturellement par l’argile lorsqu’elle ploie ou s’affaisse – elle peut inventer de cette manière un élan de « prise d’assaut » différent – non conventionnel – dans la masse molle, pas de ceux en tout cas qu’on apprendrait dans un atelier de poterie traditionnelle. A Sèvres, de janvier à avril 2015, dans le cadre de l’exposition de ses œuvres récentes, ces multiples maquettes en papier aluminium ont fait l’objet d’une présentation spécifique, par le biais d’une très belle suite de tirages photographiques réalisés par Raymond Pillai, montrée en vis-à-vis de cinq Wicked Flowers inédites, sous-titrées par l’artiste « Tang Family » parce qu’elles sont émaillées d’une manière très relâchée avec les trois fameux émaux aux plombs (vert, jaune et brun/violet) des anciennes pièces San Cai chinoises de l’époque Tang.

 

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