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ID : 143
N°Verso : 98
L'artiste du mois : Clémence van Lunen
Titre : Raffinement contre rusticité (et vice versa)
Auteur(s) : par Frédéric Bodet
Date : 01/12/2016



Frédéric Bodet
Conservateur chargé des collections modernes et contemporaines. Sèvres, Cité de la céramique.

Clémence van Lunen est représentée par la galerie Polaris, Paris
www.galeriepolaris.com

Raffinement contre rusticité (et vice versa)
par Frédéric Bodet

Les formes libres et exacerbées des années 50 paraissent ressusciter devantnous en danseuses endiablées, et défilent dans nos souvenirs les plus humbles vases du répertoire traditionnel des peintres naïfs, esquissant leurs profils pantois sur la toile… Autant de fleurs savantes que de fleurs populaires, autant de souvenirs de jardins, d’intérieurs, de bas-reliefs antiques reviennent en mémoire… Chaque forme de vase, chaque bouquet apparaît comme quelque chose qui n’est certes pas nouveau – au contraire même complètement banal – mais c’est de cette reconnaissance que surgit l’émotion.

« Wicked Flowers » constitue indubitablement un moment-clé, un sommet dans ce parcours atypique et prolixe, il constitue en quelque sorte le manifeste d’une position artistique viscéralement à rebours du discours officiel de l’avant-garde depuis les années 60, et qui situe du même coup notre artiste dans une attitude de bravoure et de résistance comparable à celle qu’ont engagé certains sculpteurs allemands tels que Baselitz, Lüpertz ou Penck au cours des années 80, dans le but de réinstaurer de la figure et du sujet au cœur de la sculpture contemporaine. Il ne faut pas oublier que Clémence a été formée par plusieurs « sculpteurs de la matière » importants. Michel Smolders en Belgique en tant que spécialiste du granit, Shigeo Toya au Japon pour la taille du bois, et qu’elle fut certainement influencée par l’œuvre protéiforme et énigmatique de son professeur aux Beaux-Arts de Paris, Etienne-Martin. Clémence n’a jamais eu peur ni de l’illusion ni de la massivité de d’un artla sculpture (dans le sens d’un embarras né de sa présence dans l’espace). Elle ne craint pas de se sentir dans les marges d’un art bousculé, contesté et pratiquement vidé aujourd’hui de son origine statuaire (monumentalité, tridimensionnalité, spatialité, ancrage) par une avant-garde portée par la croyance en un « progrès » qui dirigerait inéluctablement le domaine délaissé de la sculpture vers toujours plus de désincarnation, d’abstraction et de diversification sensorielle par le son et l’image. La quête de la transmission d’une « présence » à laquelle Clémence van Lunen s’attelle est à ce point convaincante et audacieuse au cœur de son œuvre qu’elle pourrait bien rallier aujourd’hui autour d’elle un nombre croissant d’autres sculpteurs de sa génération, et de plus jeunes encore, (dé)formés par plus de trente années de dématérialisation du geste artistique.

 

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