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ID : 145
N°Verso : 99
L'artiste du mois : Esther Ségal
Titre : LE PARADOXE DE LA PASSION
ou « je te suis, tu me fuis, je te fuis, tu me suis »
Auteur(s) : par Esther Ségal
Date : 08/01/2017



LE PARADOXE DE LA PASSION
ou « je te suis, tu me fuis, je te fuis, tu me suis »
par Esther Ségal

Désir de l’invisible[1] écrivait Emmanuel Levinas, désir ou... « amour aveugle » de cet invisible qui se dérobe à nous chaque fois que l’on souhaite s’en approcher, comme si notre destin était d’être dans la tension de ce désir, et non dans son accomplissement. Dans le livre de la splendeur, le fidèle est amant de la Torah dit Rabbi Yossé, la Torah émet une parole et, à peine est-elle sortie de sa gaine, qu’elle se retire de nouveau dans le secret. (...) Elle a un amant dont elle seule connaît l’existence. Par amour pour elle, il passe et repasse sans cesse devant le palais, et regarde de tous côtés, espérant l’apercevoir[2] . Et cette attente est douloureuse, car plus on veut se rapprocher de l’être aimé et plus il se retire au loin, nous laissant dans la promesse, « la vive flamme » d’un amour à jamais impalpable. Aucune image, aucun substitut ne peuvent réellement venir combler le vide creusé par la passion et le désirant se soumet au désiré dans la crainte perpétuelle d’être abandonné, cherchant le pardon pour une faute dont il se croit coupable.

Certains attendent le salut, d’autres le Sauveur, tous tendent vers cet horizon qui à chaque pas se retire un peu plus ne laissant que l’espérance secrète d’une proximité dont Maurice Merleau-Ponty dirait qu’elle reste distance irrémédiable[3] . Car vouloir atteindre son objectif, c’est déjà le manquer, plus nous avançons vers lui, plus il s’éloigne. S’approcher écrivait Maurice Blanchot ne fait que le jeu de l’éloignement (...) le proche promet ce qu’il ne tiendra jamais[4] faisant de la proximité une imprécision, de la familiarité une illusion, et de la connaissance, une utopie. Alors acceptons de nous éloigner, pour qu’il se rapproche, acceptons de perdre pour mieux retrouver. Ce jeu freudien de la bobine ou cet enfant jouant avec la « mer(e) » pourrait se nommer « le paradoxe de la passion », expression utilisée par les psychologues comme un terme de désignation de certains états amoureux où s’installe un déséquilibre du désir entre deux êtres. L’un aime plus que l’autre, et cela conduit à une fuite en avant du partenaire trop aimé tandis que l’autre, possédé par cet éloignement le suivrait jusqu’au bout du monde.

[1] LEVINAS E., « Totalité et infini, essai sur l’extériorité » Paris (1961) éd. Kluwer Academic coll. Le Livre de Poche, Biblio Essais, Paris 1994, p. 21.
[2] SCHOLEM G.G., extraits choisis dans « le Zohar ou livre de la splendeur » Paris (1980) traduit de l’anglais par Edith Ochs, éd. Du Seuil, coll. Sagesses, p. 82.
[3] MERLEAU-PONTY M., « Le visible et l’invisible » (1959), éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des idées, Paris 1964, p. 23.
[4] BLANCHOT M., « Le pas au-delà » Paris (1973) éd. Gallimard, Paris 1992, p. 99.

 

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