Les artistes et les expos
La chronique insolente
par Gérard-Georges Lemaire

Grosses pointures
À part Bruce Nauman, qui était présent dans le pavillon américain (mais il y avait deux autres expositions de lui en ville, à l’université de Santa Croce et dans le palais de Ca’ Foscari) et Miquel Barcelo’, qui représentait l’Espagne avec des œuvres souvent déjà bien connues et surtout rien de neuf, les grands noms de l’art contemporain avaient choisi de s’exhiber ailleurs, loin du territoire sacré de la Biennale. Rebecca Horn d’une part, avec une belle rétrospective, qui aurait pu être un peu plus étoffée, et Yoko Ono (voir sacs, Pomps and Circonstances), de l’autre, avaient opté pour la fondation Bevilacqua. Robert Rauschenberg était déifié à la fondation Guggenheim avec la mise en scène de ses dernières œuvres : il convient de souvenir qu’en 1964, il avait été rapatrié d’urgence dans le pavillon américain pour recevoir le grand prix !
Quant à Jan Fabre, il s’était stratégiquement mis hors-concours mais sans oublier de jeter de la poudre aux yeux en s’emparant de deux énormes entrepôts derrière la Thetis. Dans le premier, il avait cogité une énorme installation où, au milieu de tranchées grandeur nature émergeait un crâne d’écorche digne de la Specula de Florence où un pantin représentant l’artiste dans toute sa gloire en train d’enfoncer une pelle dans le crâne du géant enseveli. Dans l’autre, il avait reconstitué une autre installation surdimensionnée qui est normalement présentée au sein du palais royal de Bruxelles : un homme de couleur (un Congolais, tient-il à préciser) est allongé de tout son long sur une surface en pente douce couverte d’aile d’insectes multicolores. Il s’agirait d’une critique du colonialisme belge incarné par le roi Léopold (c’est vrai : le Congo était sa propriété personnelle !). Mais la dénonciation n’est pas bien méchante et cela a permis aux autorités belges de se donner bonne conscience à bon compte, puisque nous sommes à l’âge des mea culpa rétroactif ou la revendication de ces repentirs aussi tardifs qu’inutiles (l’esclavage, les Arméniens, Vichy, les camps de la mort et le reste).
Quant à Michelangelo Pistoletto a voulu faire bande à part en occupant une salle dans les Arsenaux. Il y avait mis en scène dix-sept miroirs dont les derniers étaient brisés. Cela procurait la sensation qu’il se pastichait lui-même.

Jardins
Je ne sais pas ce que les Etats avaient pour objectif, mais, en dehors des Etats-Unis, qui étaient assurés de remporter le prix suprême de cette année, personne n’avait semblé désireux de faire de grands efforts. Les pavillons étaient plus ennuyeux les uns que les autres, quand ils n’étaient pas nuls et non avenus. La Grande-Bretagne aurait mérité une palme en ce sens avec la création « vidéographique » de Steve McQueen : trois chiens vont chiner dans les détritus du dit pavillon quand il est fermé tout le temps où la Biennale a fermé ses portes. Mais au bout de trente minutes, une vieille dame fait son apparition avec un cabas à roulettes (l’assistance frémissait) et, avec le mon « fin « , deux hommes s’embrassent devant le pavillon d’Israël (message politique ou homosexuel ? Pu encore les deux à la fois ?). Il paraîtrait que cet homme serait une des gloires de l’art anglais d’aujourd’hui. Cela donnerait l’envie de faire sauter le tunnel sous la Manche !
J’ai sans doute raté quelques pavillons (c’est inévitable), mais je n’ai finalement pu trouver quelque plaisir qu’en découvrant celui de l’Egypte avec deux artistes, l’un peintre et l’autre sculpteur, Adel el Siwi et Ahmad Askalanyn qui m’avaient donné le désir de retourner dans ce pays. Le pavillon hongrois mériterait aussi d’être qsignalé dépourvu d’intérêt car l’installation de Forgàcs Péter, « Avec le temps », s’il elle n’était pas conçue avec une grande imagination dans ses moyens d’expression, avait au moins le mérité d’être le fruit d’une véritable réflexion : il confrontait les fiches anthropométriques des prisonniers avec celles de leurs geôliers pendant la dernière guerre, et cela procurait une sensation terrible d’absurdité macabre, de gêne et d’effroi.

Mode d’emploi
« Nous décrivons de lents zigzags d’un bord à l’autre du canal, dépassons la fondation Peggy Guggenheim, un drôle de demi-palais qui n’a qu’un rez-de-chaussé surmonté d’une superbe terrasse sur le toit. Nous laissons ensuite derrière nous l’hôtel Gritti Palace, avec sa terrazza-ristorante au ras de l’eau abondamment décoré de pots de géraniums. Je quitte le vaporetto n°1 à San Zaccaria. Nicholas Logsdail se trouve au même moment devant l’arrêt du 82 en compagnie du personnel de sa galerie Lisson. Ils vont au Dolci pour un dîner al fresco et m’invitent à les accompagner. “ À chaque biennale, les clans se regroupent, me dit Logsdail. [ …] Les musées ressemblent à des zoos, les biennales tiennent plutôt du safari. On passe la journée en voiture à voir des dizaines d’éléphants alors qu’on rêvait de voir un lion.” » (Sarah Thorton)
Cette description savoureuse est celle d’une Biennale antérieure, bien sûr. Mais, de ce point de vue, rien n’a changé. L’amour de Venise, qui semble une maladie stendhalienne propre aux Français, s’accompagne d’une mondanité fanatique. Ces mondanités ont plus d’importance que ce que la manifestation dévoile. Quand j’ai interrogé quelques amis ou journalistes que j’ai croisés à cette occasion, je me suis rendu compte qu’ils n’avaient quasiment rien vu. Mais le plus grave est que ce ne représentait pas franchement un problème de leur point de vue.

Pétrole
Ce que cette 53ème Biennale nous avait offert de plus intéressant, ce fut sans le moindre doute les pavillon des Emirats Arabes Unis : nous étions conviés à nous extasier devant l’urbanisme qui est en train de se développer dans le Golfe : des tours immenses, avec tout le confort rêvé, en particulier la possibilité d’amarrer son yacht sous ses fenêtre dans un port hémicirculaire. C’était merveilleux ! D’art, il en était peu question. Je ne me souviens plus si c’était pour Abou Dhabi ou Dubaï, mais un artiste conceptuel a conceptuellement photographié les chambres des hôtels d’une grande chaîne avec le portrait de l’heureux propriétaire. C’est une manière à mon avis judicieuse d’utiliser le goût de nos artistes de l’A. C. pour la photographie la plus banale.

Sacs
L’unique innovation de cette Biennale fut la distribution de sacs de toute sortes pour y glisser des communiqué de presse souvent inutiles ou incompréhensibles et des DVD. Cela évitait de donner des catalogues aux journalistes et provoqua une frénésie de collection. On avait appris à New York que Yoko Ono avait dessiné elle-même le sac promotionnel de son exposition. Tout le monde se précipita. Sans doute est-ce pour ce fameux sac qu’elle a reçu le Lion d’or. Ce n’est en tout cas pas pour ses films….

Verre (Murano)
S’il fallait attribuer un prix à l’une des nombreuses expositions, je choisirais sans hésitation « Glass Stress » installée dans le palazzo Cavalli Franchetti, l’exposition du palais Fortuny, qui avait fait un triomphe il y a deux ans, s’était révélée décevante cette année. Elle montrait de petites merveilles réalisées en verre de Murano, comme ces créations de Richard Hamilton, de Josef Albers, de Jean Arp, d’Arman, de Giuseppe Penone, de Robert Rauschenberg, de Jannis Kounellis (entre autres), souvent inconnues.
Enfin, il serait juste de mentionner « Unconditional Love », une exposition présentée par le musée d’Art Contemporain de Moscou dans l’un des bâtiments de l’Arsenal car, si ce qu’elle présentait n’était pas d’une folle originalité, le choix des peintures, des sculptures, des installations des films vidéo avait au moins le mérite d’être de qualité.



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mis en ligne le 23/09/2009
 
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