Les artistes et les expos

‹‹ To be a painter! or not to be...
(Ou comment peindre quand d'autres spéculent) ››.

par Amélie Adamo

Il est des artistes qui sont passés maîtres dans l’art de faire carrière. Damien Hirst excelle en la matière. Célèbre pour l’immense fortune qu’il a su amasser en maîtrisant brillamment les règles du « jeu » de l’art contemporain (il connaît toute les stratégies pour se faire de l’argent – comme celle de créer des boutiques pour mieux vendre en masse des répliques en plastique de ses productions originales - et pour conserver une côte élevée sur le marché de l’art - comme celle de vendre directement sa production aux enchères sans passer par le circuit des galeries), Damien Hirst se paie aujourd’hui le luxe d’exposer à la Wallace Collection de Londres. Maître du cynisme, il se plaît à confier aux journalistes son plaisir d’exposer dans ce lieu « prestigieux », où très peu de peintres contemporains n’ont exposé de leur vivant, et ne cache pas sa joie, considérant son travail comme « profondément lié avec le passé», de voir ses « tableaux » cohabiter avec l’œuvre des plus grands maîtres de la tradition européenne (accrochée dans les salles voisines). De cette question de l’art moderne et des « maîtres » - filon très à la mode ces derniers temps - la Wallace Collection a su tirer profit. Elle s’appuie - au passage- sur l’exposition Hirst pour réaliser un cycle de conférence autour de ce sujet puis semble ravie, selon les dires de l’artiste, de voir grimper les chiffres de fréquentation et les ventes dans la boutique de musée. Triste mascarade qui nous rappelle - une fois encore - que ce qui détermine aujourd’hui la visibilité des œuvres repose souvent moins sur des critères esthétiques que sur des motivations mercantiles. Car en fait de « tableaux » que nous propose Hirst exactement ?

S’il s’amuse à créer scandale en parlant de « maîtres » et de retour à la « pratique solitaire de la peinture » (en soulignant, qu’avec un peu d’« entraînement », « tout le monde peut être Rembrandt »…), le roi de la surproduction - qui d’habitude délègue la réalisation du travail à plus d’une centaine d’assistants - ignore bien évidemment tout du métier de peintre. Les 25 « peintures bleues » présentées à la Wallace Collection donnent à voir des motifs ultra-convenus censés poursuivre une interrogation de la vie et de la mort. Des motifs qui ne font en fait que ressasser un répertoire antérieur demeuré jusque-là particulièrement bien vendu : le crâne, d’abord (tel le célèbre «For the Love of God » acheté plusieurs dizaine de millions de dollars). Mais aussi : fleurs, points, cendriers ou papillons. Etc. Des motifs qui, non sans une déplorable malhabileté technique, sont gentiment reproduits en peinture (acrylique), clairement identifiables, découpés sur un fond sombre et monochrome. Le tout enserré dans un réseau linéaire qui semblerait être pour l’artiste un clin d’œil à son « héros », Francis Bacon. Référence on ne peut plus inappropriée quand on mesure l’abîme insurmontable qui sépare les « Peintures bleues » de Damien Hirst de la magistrale leçon de peinture laissée par le maître. Outre le fait qu’elle atteste d’un réel engagement et d’une expérience vécue en amont de la création (ce qui demeure clairement absent du sinistre cynisme affiché par Damien Hirst), la peinture de Bacon questionne ce qui, précisément, n’est pas reproduction mais destruction des apparences : explorant les possibilités d’un médium (l’huile) qui permet de produire de l’étrangeté par défiguration ou génération de formes imprévisibles, elle renvoie avec d’autant plus de force le spectateur à la violence de la vie. Leçon dont les « peintures bleues » d’Hirst ne portent manifestement pas l’ombre d’une trace, demeurant impuissantes, malgré le sujet choisi, à créer un malaise ou à susciter une réelle émotion. Elles demeurent pathétiquement mortes pour le regard, comme l’étaient littéralement ses animaux exposés dans des bains de formol. Mais de tout cela, Hirst lui, ne se préoccupe pas. Parce qu’il sait - comme il se plaît à le souligner dans un entretien réalisé autour de ses nouvelles peintures - « qu’on peut signer une merde de chien et la vendre ». Parce que même au comble de la médiocrité les gens « marchent », dit-il. Certains, peut être. Pour un temps...

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mis en ligne le 26/01/2010
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