Les artistes et les expos


L’horreur est humaine ?

par Thierry Laurent

L’exposition au demeurant s’intitule « the artist is présent », et c’est vrai car, tout en bas, au rez-de chaussée, l’entrée du musée est occupée par une action interactive : l’artiste (habillée) est assise et fait face, la mine sévère, immobile, hiératique, tel un sphinx, à des spectateurs volontaires qui se succède les uns aux autres, l’idée étant d’établir partenariat privilégié entre l’artiste et le public.

Seulement voilà, une fois l’envie de vomir surmonté, on a le sentiment qu’au-delà de ce déballage, de chair de sexe er de sang, l’artiste obéit aux impératifs d’une démarche cohérente et forte. L’artiste a su tout au long de sa vie se mettre en scène pour exhiber de façon violente l’horreur d’une condition humaine vouée à la souffrance, à l’horreur, au carnage, une condition en survie, dont la crucifixion christique est le symbole. Et c’est peut-être cette crucifixion que l’artiste ne cesse de rejouer exhibant sa nudité ensanglantée. L’horreur crée ici un choc esthétique qui porte à s’interroger sur la vanité, l’orgueil, le sadisme du genre humain, une horreur qui rappelle les œuvres sanglantes de l’Art Baroque, celles qui exhibent sans concession la souffrance des martyrs suppliciés. Telle est du moins l’analyse, à laquelle nous souscrivons, du critique Arturo Danto, sollicité pour le catalogue,  qui voit à travers les actions de Marina Abramovic la continuité de cette esthétique de la souffrance christique préconisée par les Jésuites et le Concile de Trente et d’où est sorti un art qui exalte une sorte de vérité crue de la souffrance contre l’enjolivement des formes propres à l’art classique de la Renaissance.
La démarche de Marina Abramovic est de confronter son corps à l’extrême, au risque de sa propre mort. Elle ne cesse de se mettre en péril, faisant de son corps un lieu d’expérimentation de sa limite de résistance. Une de ses premières performances consistait à jouer à la roulette russe avec un révolver dont le barillet était chargé d’une ou plusieurs balles et de tirer ensuite la vraie balle pour bien indiquer à l’assistance que l’arme était belle et bien chargée. Une autre consistait à s’installer au milieu d’une étoile à cinq branches en proie aux flammes. Le résultat : asphyxiée par le manque d’oxygène, l’artiste a été in extremis secourue par un médecin présent, qui a compris le danger.

L’art d’aujourd’hui , explique Marina Abramovic a cessé d’être un résultat acquis, une œuvre définitive, mais demeure un processus en reconfiguration permanente, une manière d’établir un lien avec le public qui s’inscrit dans le hic et nunc du présent, et non dans l’illusoire transcendance d’une œuvre morte une fois (sans jeu de mot) achevée. L’art contemporain s’inscrit donc dans un processus « notationnel », en ce sens que les œuvres, comme une pièce de théâtre ou un morceau de musique, ont pour vocation d’être rejouée, interprétée, improvisée selon une partition écrite, laissant une large part à l’improvisation. Abramovic ajoute également que l’art n’est fait pour être ni beau ni laid, mais pour créer un choc, faire germer une vérité dans l’esprit de l’assistance, une prise de conscience, et pour elle donc, l’action, la performance est le procédé le plus efficace pour servir la vérité de notre monde.

Finalement, impossible de ne pas considérer l’artiste Marina Abramovic comme une authentique artiste d’avant-garde, qui choque, mais si elle choque, c’est sans doute pour démontrer que c’est notre univers qui d’abord est infâme, choquant, révoltant. Les œuvres de Marina Abramovic toujours inachevées, toujours vivantes, sont pourvues de cette force, de cette incandescence , de cette énergie qui nous portent à entrevoir notre monde comme une réalité terrifiante, dissimulée sous le voile du mensonges médiatique. L’art comme dévoilement ? pour reprendre l’expression de Heidegger. Il y a dans l’œuvre de Marina Abramovic une démarche christique, un appel à la rédemption, à demander pardon, à hurler son désarroi, à vouloir soi-même se mettre en péril, se crucifier, pour expier les fautes commises par le genre humain.

Quelques liens vers le travail
de Marina Abramovic

Marina Abramovic
au MoMart de New York

Deux extraits vidéo
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mis en ligne le 11/05/2010
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action d'éclat