Appréhender le travail de ChantalPetit
à travers une galerie de 17 images.
Dossier ChantalPetit : Dans l’arche du monde par Belinda Cannone
Dossier ChantalPetit
Dans l’arche du monde
par Belinda Cannone

Profusion et totalité

      Dans l’atelier de ChantalPetit, je comprends que ce peintre est posé au centre de l’univers comme au cœur d’une arche gigantesque : le monde n’est pas devant lui mais le cerne, l’ensevelit parfois, l’enivre souvent, le déborde toujours ; le peintre est devant le chaos des objets multiples (des êtres, des paysages), le chaos des tableaux qui le précèdent (les œuvres d’autres peintres au long du temps), le chaos des sensations (bruits, éclats, caresses)… Comment survivre à la profusion du visible et de l’audible ? Peut-être en musiquant ce chaos, en le ressaisissant en une totalité, fût-elle trouée, lacunaire ou fragmentée, et en la mettant en récit.

      Voilà sans doute le pourquoi de cette propension, chez elle, à fabriquer ce qui nous apparaît comme de Grands Récits : parce que chaque élément du chaos est relié horizontalement à tous les éléments présents dans le monde, et verticalement (dans le temps), à tous ceux qui furent et dont il nous reste trace sous forme d’œuvres. Le peintre est là pour rendre visibles ces liens. Perception et synthèse des strates temporelles – pensée-saisie qui est l’humanité même (et l’art).

      Ainsi peut-on considérer « Le Festin des Dieux » comme un aboutissement. Il fait voisiner un homme primitif et un Martien, une carafe de vin et un hamburger, un animal et des figures du Caravage ou de Van Gogh… Assemblage d’objets mais aussi de pratiques du monde : par exemple ici, Rembrandt côtoie un âne et un chaman – soit : la peinture, le labeur et la magie allant d’un même pas. Récit-monde dans lequel le spectateur circule, comme un soleil au centre de cette mouvante constellation. Aboutissement (provisoire) mais folie : je ne suis pas sûre du nombre de toiles (trente-trois, je crois), et « Le Festin » n’est peut-être pas terminé – car il n’a pas de raison de s’achever, la profusion du monde est sans limite ni rivage.

      Lorsqu’on revoit les œuvres depuis les années 80, c’est le même sentiment de profusion et de constellation qui domine : dans l’œil du beau « Caméléon » de 1987 se devine une montagne, une de ces « Montagnes » peintes la même année qui semblent illuminées de l’intérieur, et qui se sont aussi instillées dans ces « Nourritures », pain, vin, farines, grenade… Et illumination encore dans ces pièces vides où la lumière extérieure à grands flots se déverse (« Les heures », 1987-88). Feu, lave, bain d’or, de cet or du monde, or du temps, qu’on retrouvera dans les éblouissants « Paysages » récents (2009)

mis en ligne le 11/07/2010
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