La chronique insolente de Gérard-Georges Lemaire
UN ART QUI VAUT SON PESANT D'OR
par Gérard-Georges Lemaire

      Chez Vitantonio Russo, non plus l’économiste éminent, mais l’artiste, l’économie s’est métamorphosée en enjeu exclusif de sa production : c’est à la fois son objet et son sujet. Il est le premier à l’avoir fait. Et il l’a fait dans un esprit critique – ne parle-t-il pas parfois de « pièges pour les valeurs » ? Ses tableaux, ses installations, ses objets hétéroclites, sont tous fabriqués en utilisant le langage de l’économie antique ou moderne, sous l’aspect de textes, de graphiques, de diagrammes, de collages et d’assemblages, qui mettent en relief, par leurs jeux sémantiques et spéculaires, les lois supposées de l’économie et leur « iconographie particulière.

      Son œuvre peut être regardée dans son ensemble comme une scénographie dialectique, donc caustique, mais aussi esthétique, même si cela semble un beau paradoxe, puisqu’il fait la critique de cette vision du monde et de sa représentation. Depuis les années soixante-dix, il désacralise les relations qui sous-tendent le marché sous des formes variées, par exemple en inventant des distributeurs improbables, des ready-mades pervertis jusqu’à concevoir des objets de pure invention. Par exemple, il a organisé en 1976 une vente d’une « expo-valeur » dans une galerie (un espace mercantile réservé à l’art) où était organisée la cession financière dudit espace d’acquisition comme opération artistique, en produisant valeur et plus-value ». En sorte que l’exposition a figuré les échanges économiques qu’elle sous-entend avec beaucoup d’humour, de fantaisie et de causticité.

      En somme, tout ce qu’il a pu entreprendre en sa qualité d’artiste hors norme s’est formulé comme une exploration de ce que l’art peut charrier de scories matérielles et spirituelles (qu’il le veuille ou non), même s’il a prétendu au cours du siècle dernier – et encore maintenant – être de plus en plus scandaleux, négateur, révolté, provocateur ou ésotérique. Cette attitude anti-quelque chose et anti-art (il faut se souvenir de la célèbre énumération d’Ad Reinhardt) voit se rapprocher et presque coïncider dangereusement sa valeur symbolique (disons tout ce qu’il veut signifier) et sa valeur marchande – l’idée étant que la production la plus absurde ou la plus aberrante, la plus inadmissible ou la plus « transgressive », en détournant les principes fondamentaux de l’art – de manière fantasmatique, même délibérée – pour finir par engendrer de la valeur et rien que de la valeur marchande.

      L’art, tel qu’on l’envisage chez Russo, est le nouvel étalon-or que les temps modernes ont conçu pour sortir de ses impasses économiques et pour développer une super économie dont la garantie n’est plus l’activité humaine dans les circuits de l’échange, fondés sur des besoins toujours plus illusoires et dangereux au-delà des premières nécessités, mais dans la spéculation sur l’extravagance conceptuelle de nos sociétés que le « travail » de l’artiste « produit » - , sous ses meilleurs et ses pires aspects.

      L’or et l’argent sont censés ne faire qu’un dans l’alchimie de l’économie actuelle. Vitantonio Russo crée une confusion volontaire entre la pierre philosophale du jeu de l’univers réel et de l’univers irréel (romanesque) de l’art, de son esthétique dévoyée (par définition) et de ses simulacres à double fonds (les ors feints ou non de la peinture, de la sculpture, des installations équivalents maintenant avec les lingots d’or des réserves nationales ou privées).

Gérard-Georges Lemaire

mis en ligne le 11/07/2010
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