Les artistes et les expos
les cartes célestes et terrestres de Rossella Faraone
par Gérard-Georges Lemaire

II doubles sens

      « Je parle des pierres : algèbre, vertige et ordre ; des pierres, hymnes et quinconces ; des pierres dards et corolles, orée du songe, ferment et images… »
Roger Caillois, Pierres

      Mais rien n’est aussi évident dans les tableaux de Rossella Faraone. Les titres qu’elle leur donne sont une sorte de guide pour entrer dans le jeu assez complexe de significations qu’elle entend leur attribuer. Examinons par exemple un œuvre de relativement petites dimensions baptisées Métamorphoses (2009) : au premier plan, une plage blanche hérissés de quart transparents ; au fond, un plan rouge avec des intensités diverses ; enfin, un disque qui donne l’impression d’un soleil levant, mais rendu avec un or éteint et avec de nombreuses rugosités. Il y a dans ce cas un paradoxe évident entre le titre, le choix des harmonies chromatiques et la nature ambiguë du disque solaire (c’est là l’image qui s’impose). En réalité, des sensations opposées et étranges naissent de cette Métamorphose, qui nous renvoie dans un monde de rêve et de sensations visuels et tactiles irréelles. Le thème cosmologique est encore présent, mais il se double d’une interprétation des gestations les plus secrètes de l’inconscient. Dans Réminiscences de l’âme (2009), un phénomène comparable se produit. Nous y voyons la surface tourmentée et rocheuse d’une terre hostile sous un beau ciel bleu d’outremer alors qu’un autre corps céleste doré la surplombe, perdant, pierre après pierre, ses agglomérats Une créations de la même année intitulée Crépuscule de la vie présente un dispositif assez ressemblant : un premier plan avec des roches aux aspérités blanches et roses, un ciel rouge et presque noir et deux astres jaunes dorés rocheux. Ces deux œuvres ont en commun la contemplation d’un ciel improbable depuis un territoire qui n’a rien de terrestre. Ce sont des états oniriques qui sont dépeints dans un cas comme dans l’autre. Ces rêveries spatiales se sont affirmées dans la majeure part de ses tableaux : si l’on considère par exemple Itinéraires sur Mars (2008) on peut voir des îlots rouges bordés d’or liées les uns aux autres sur un fond bleu. Ce superbe tondo, de par sa forme même, laisse subsister le doute, à l’égal de la Genèse des étoiles (2009), où seul le titre nous offre un fil d’Ariane – s’agit-il de visions célestes ou, au contraire, de continents inconnus vus de haut, gouvernés en tout cas par les seules impulsions esthétiques de la créatrice ? Raz-
de-marée (2009) prouve que la dynamique du geste l’emporte sur le sujet, qui a plus affaire avec les émotions de cette dernière qu’avec sa production plastique.

      De plus, comme le montrent Mes îles (2009), l’artiste a éprouvé le désir de tracer les cartes de son monde intérieur. Car le cosmos qu’elle a décrit à sa manière ressemble à la géographie qu’elle a inventée pour décrire ses émotions plus secrètes. Passion (2007) vient à point nommé pour réviser en partie l’opinion que nous avons pu nous faire un peu vite de son entreprise artistique. Il est certain que les relations étroites, profondes, avec le monde stellaire et que le monde terrestre lui ont fourni l’essentiel du matériau iconographique qui se développe d’un tableau à l’autre. Il est tout aussi certain que les titres qu’elle a choisis ont accentué cette inclination générale. Mais ne serait-ce pas un leurre pour dissimuler ou du moins relativiser des sensations, des sentiments, des compulsions qui sont la manifestation la plus incisive de ce qu’elle ne peut exprimer autrement que par le truchement de la perspective artistique qui transpose et anoblie tout ? Méditation (2008) pourrait très bien être présenté comme un groupe d’étoiles dorées enfermées dans un cercle décoratif de la même couleur or. Qu’elle ait éprouvé la nécessité de donner des titres d’autre nature et toujours liés à la vie spirituelle n’est pas dû à un caprice ou un hasard improbable – Rosella Faraone a désiré insister sur le point que ses cosmogonies et que ses cartographies étaient avant tout des plans de ses pensées enfouies et des fantômes puissants qui agissent à son corps défendant. Dans les circonvallations de son inconscient Il en résulte un art d’une sensualité exaspérée, exubérante, qui dévoile ses arêtes et ses forces sombres dans l’éblouissement de toutes ces pierres fines ou semi-précieuses et de ces ors. Cet élan est corrigé par une conscience aiguë du divin et de l’expérience du sublime que procure le cheminement mystique, à la fois aride et merveilleux, qui dépasse le singulier pour rejoindre l’universalité.

Les artistes et les expos : Mireille Loup. Autoportrait, autofiction : le je(u) et le masque par Xavier Lambert
mis en ligne le 06/10/2010
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