Les artistes et les expos
En lisant les leçons de ténèbres
de Patrizia Patrizia Runfola :
la célébration de Beaugency
par Justine Lacoste

      Je poursuis mon chemin et, sur la gauche, je suis cerné par les masques d’Estelle Courtois. Ils ont la couleur du brou de noix, presque noirs. Les uns sont petits et semblent être de dimension croissante et décroissante. Les autres, plus grands, semblent provenir des tréfonds de l’inconscient et produisent un effet d’une inquiétante étrangeté. Après quoi, je me retrouve dans l’univers de Sergio Birga, d’un réalisme magique singulier. Deux tableaux figurent deux scènes de la fiction. Mais ils ne sont pas traités de façon si littérale qu’ion le croirait : Birga a insinué des éléments personnels dans cette traduction spéculaire du livre si respectueuse de son esprit et de sa lettre. Deux dessins et une gravure complètent cette superbe interprétation.

Il m’explique : « J’avais rencontré, à plusieurs reprises Patrizia Runfola en compagnie de Gérard-Georges, à Paris, Florence et Milan. L’annonce de sa mort prématurée me peina. J’imaginais mal la disparition d’une femme que j’avais connue si vive et active. Quelques années plus tard, Gérard-Georges Lemaire me demanda si je serais tenté de m’inspirer pour une série d’œuvres du livre de Patrizia Runfola  Lezioni di Tenebre .De suite le livre me fascina tant il me semblait à la fois onirique et réel, mélancolique et tragique, et nourri par une réflexion métaphysique. Après des esquisses faites dans les marges du livre au courant de la lecture, je fis très vite six dessins à la pierre noire et au fusain sur ce papier à gros grains qui prend bien la matière. Dans le tissu de réflexions et de rêveries de la narration apparaissent des évocations tout à fait précises et ce sont celles-ci qui s’imposèrent à moi. Premier dessin :la vaste chambre aux ombres portées et aux lumières diffuses avec ses objets précieux, sa tapisserie mythologique, où se meurt une jeune fille exsangue tandis que sa sœur qui nous tourne le dos, joue de la viole de gambe. Je donnais à la musicienne les cheveux bouclés et très noirs de Patrizia. Dans deux dessins successifs, la mère, puis le père des jeunes filles : la mère sculptant dans la lumière d’une grande baie vitrée, ébauchant un buste-portrait sous les yeux de la malade, accompagnée de la basse continue de la viole ;le père emmenant sa fille dans la contemplation de la mappemonde, centre lumineux de la composition.
Quatrième dessin : dans une église baroque italienne la narratrice prie, mains ouvertes, devant un autel surmonté d’un tableau représentant St Jérôme au lion écrivant la Vulgate .Quel lien établir entre la prière et le Saint ? Voilà ce que dit le livre, le dessin ne fait que suggérer. Dans la deuxième partie du récit, la narratrice se trouve à Prague, ville d’élection de Patrizia Runfola. Prague que je connais un peu et que j’ai peinte à plusieurs reprises et déjà rêvée quand, à vingt ans, j’illustrais Kafka. Le visible connu de la ville - fleuve, château/groupe statuaire - se mêle dans une vision hallucinée à une étrange procession d’ombres des poètes, tandis que, point central de la scène, la Vierge offre sa couronne à la narratrice, juchée dans le groupe de pierre (avant la chute dans le fleuve et le réveil). Dans le dernier dessin, j’ai essayé de rendre l’aspect métaphysique (avec, entre autres, un portique à la de Chirico) et symbolique (des silhouettes Jugendstil) de cette allégorie où, devant la jeune fille souffrante, apparaissent deux figures qui dorment et attendent près d’un puits, dominées par la grande forme de la Mort.

Les artistes et les expos : En lisant les leçons de ténèbres de Patrizia Patrizia Runfola : la célébration de Beaugency par Justine Lacoste

mis en ligne le 14/01/2011
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