Les artistes et les expos
Robert Groborne entre les lignes
par Gérard-Georges Lemaire

Chaque pièce est élaborée pour que le regard soit accompagné de sensations tactiles très prégnantes. On pourrait même croire que l’artiste a voulu mettre en pratique des thèmes développés par Denis Diderot dans sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient. Le titre de cet essai mémorable dit beaucoup de ce que le philosophe a voulu exprimer : une réflexion sur la perte d’un des sens les plus importants pour l’homme, mais aussi une conception du monde tangible que nous autres, les voyants, ne sommes pas en mesure de percevoir. Ce que la vue perd par l’ablation relative des formes et des couleurs, elle le retrouve, d’une autre façon, par l’illusion du toucher, qui ne cesse d’approfondir la connaissance de l’œuvre et qui en retire de nouvelles jouissances. Tout ici est question de minces allusions, de gestes à peine esquissés, de mise en perspective de beautés soigneusement cachées du matériau. La main complète la vision, l’enrichie sans cesse et parfois la contredit pour qu’elle puisse s’exerce avec plus de discernement et de finesse.

      J’ai parlé de poésie à propos de la démarche de Robert Groborne. Et pas seulement parce que je sais que c’est un lecteur passionné d’Edmond Jabès et si je le vois comme un peintre qui réalise dans la peinture ce que Paul Celan a fait dans ses poèmes. Il est évident, selon moi, qu’il exige de ses travaux de répondre à l’ut pictura poesis sorti tout droit de l’Ars poetica d’Horace. Sa formulation est d’ailleurs ambiguë et l’on ne sait si c’est la peinture qui doit se nourrir de poésie ou si c’est la poésie qui est comparable à cette première. Ce qui est sûr, c’est que Groborne entend condenser en un périmètre délimité une charge sensible et intelligible aussi puissante qu’elle paraît imperceptible. C’est un chuchotement de l’âme dont on mesure, pas à pas, au gré de l’apprentissage de ce genre de méditation plastique, qui se traduit par l’affirmation d’une représentation du monde à travers le sentiment et le savoir, mais à condition que ce sentiment et ces connaissances n’étouffent pas la réalité vivante de l’ouvrage et ne viennent pas gâcher cette relation avec nous, les dilettantes, si délicate à établir et à cultiver.

      Robert Groborne compte parmi les artistes les plus intéressants et les plus singuliers de sa génération. Il serait temps qu’on se le dise !

Gérard-Georges Lemaire

Robert Groborne, voyageur immobile, galerie Alain Margaron, Paris.
Catalogue : Isabelle Monod-Fontaine, Alain Margaron Editeur, 112 p., 25 €.



mis en ligne le 14/01/2011
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