Dossier Bruno Macé
Des uns aux autres, l’entremise de l’art.

par François Barré

mis en ligne le 14/01/2011
L’espace public est sans doute, dans l’histoire des villes européennes, le point focal de toute urbanité, le plus complexe et celui dont le modèle classique n’est plus reproductible. Nous ne savons plus organiser l’espace public. Les hommes de l’art, architectes et urbanistes y ont échoué tandis qu’artistes paysagistes tentent, à leur tour, d’inventer de nouvelles configurations.

Mais ce n’est pas de cette façon qu’interviendra Bruno Macé. Il ne veut pas modeler l’espace et lui donner forme, mais plutôt s’interroger sur ce qui circule là. Il ne prétend pas devenir architecte ou urbaniste et redéfinir des pièces urbaines, mais écouter et transcrire le flux de désirs et de messages, des uns aux autres, qui traverse nos lieux communs. Cette économie du flux charrie la masse des signes et des images exp(l)osés dans l’espace autant que les courants souterrains de ce que nous taisons et portons comme un appel. Est-ce que la seule présence dans l’espace du mouvement, du déplacement productif ou de la déambulation suffit à créer du lien et fait jalon? Est-ce que la seule réception obligée de l’image marchande et de ses injonction permet d’habiter une maison commune et de fomenter des échappées ? Ou n’y faut-il pas quelques autres repères, quelques signes quotidiens de reconnaissance, moyens simples et d’une patiente subtilité d’abouter les hommes et les lieux ? Agent de liaison, parti en reconnaissance dans les espaces du grand nombre, Bruno Macé est un passeur d’un nouveau genre. Il ne recherche ni l’effusion esthétique ni l’avancée formelle mais le passage, justement. Artiste cultivé, connaisseur avéré de l’histoire de l’art (il est peintre par ailleurs), il poursuit dans l’espace public, une autre fin.

Il y a, en Afrique, des « facilitateurs » dont la tâche quotidienne est l’entremise. Nous avons sans cesse besoin d’entremise et parfois même, entre moi et moi, seul ou perdu dans la foule. Ce peut être d’une importance stratégique ou de cette nature infime du grain de sable qui peut tout enrayer. Il n’y a pas de petit projet dans l’entremise. Balzac soulignait finement que Dieu se sert de l'entremise des causes secondes . On dit plutôt médiateur, aujourd’hui; c’est plus séculier. Mais il s’agit toujours d’être entre les hommes, au milieu d’eux.

Il apparaît à présent que l’espace public peut séparer plutôt qu’unir et que sa lente et sourde privatisation est en cours, sorte de dépeçage de ce qui fait corps social pour ne garder du peuple (nous tous ensemble) qu’une nuée d’individus séparés et livrés aux enseignes. L’urbanité, condensé d’hospitalité et d’hétéronomie ; la respublica, cause commune et socle de la citoyenneté, se dissolvent dans le marché et le communautarisme. Il est temps de réinventer du lien et du lieu.

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