Dossier Véronique Bigo
Une poétique de la valeur

par Robert Bonaccorsi

mis en ligne le 21/04/2011

Une « immense accumulation » de marchandises ? Oui et non car, les objets se révèlent ici dépouillés de toute valeur d’usage par la représentation. Ceci n’est pas une pipe, Cela n’est pas un sac, ni un soulier, ni un masque, un couteau, une fleur, un phare, un stylographe... Objets plus qu’inanimés, vides de toute aptitude à satisfaire un besoin ou un désir autre qu’esthétique. Certes, mais quid de l’icône constantinienne que Véronique Bigo fait voler en éclats dans les années 1975/1980 ?
En niant la valeur d’usage, la représentation ne se soustrait pas à l’histoire. Tout au contraire, les thématiques deviennent autant de valeurs conceptuelles qui se chargent d’une densité mémorielle inédite.

Le temps trouve son expression graphique par le biais de taches qui manifestent et précisent la souffrance des objets. Taches de plaisir, de violence comme autant de démonstrations de la patine ou des stigmates des siècles et de l’air du temps. Les objets comme les corps et les artistes souffrent, aiment, jouent, témoignent. Une histoire de taches qui se lit de façon réversible. Les taches de l’histoire comme inscriptions matérielles, concrètes du réel. Véronique Bigo joue avec l’évidence.

Ceci est bien une lanterne magique, une clé, un gant, un anneau, un manteau, un voile ou l’Annonciation de Fra Angelico. Tout commence ensuite par le jeu des regards. « Le plus important pour moi, dans mon propre travail, ce n’est pas ce que les gens reconnaissent au premier regard, c’est plutôt ce qu’ils y voient après. J’aimerais qu’après avoir vu mes tableaux, leur regard soit suffisamment modifié pour qu’ils y voient autrement le réel environnant. Il est peut-être ambitieux de viser la modification de la perception, mais je me dis qu’aujourd’hui il n’y a rien d’autre sur quoi travailler sérieusement. » [2] Ici s’énonce la volonté non pas tant de mettre au jour des mécanismes secrets mais de dévoiler des rapports dissimulés sous les apparences. En paraphrasant Jacques Prévert, on peut ainsi affirmer que Véronique Bigo peint sciemment « les choses cachées derrière les choses.»[3]

2. Verso n°13, 1999, Véronique Bigo, entretien avec Jean-Luc Chalumeau.

3. « Je peins malgré moi les choses cachées derrière les choses ! Un nageur, pour moi, c’est déjà un noyé. Je crois peindre la joie, la musique, un bal, une noce en plein air et sur ma toile, c’est la jalousie, la haine, le meurtre, le cimetière… des natures mortes, quoi... » Dialogue de Jacques Prévert pour Le Quai des Brumes, Marcel Carné, 1938. « Je verrais un crime dans une rose » affirme le peintre Michel Kraus, dans le roman de Pierre Mac Orlan, Le Quai des Brumes (1927), œuvres complètes, édition établie par Gilbert Sigaux, Edito-Service, Genève, 1969, p. 304.

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