Le théâtre
Effets de réel
par Pierre Corcos

L'effeuillage comme métaphore du dévoilement successif... En plus, à cette signification qui ferait du striptease une vérité supérieure, comme la chose en soi est plus vraie que l'apparence, vient s'opposer un doute ironique sur cette vérité naïve de la nudité. Déjà Woody Allen nous alertait : "La première fois que j'ai vu une femme nue, j'ai cru que c'était une erreur !"... Enfermé dans le modèle phallique, comment reconnaître ce qui le dément, et du coup le menace ? Et à supposer qu'on reconnaisse le féminin pour ce qu'il est (et non comme absence, béance), pourquoi le modèle de l'écorché - puisque l'investigation serait accès à des couches plus profondes - ne serait pas plus vrai que la nudité ? Ou mieux encore le squelette ?... Mais Céline Milliat-Baumgartner, qui interpelle les spectateurs-voyeurs, leur balance également les jeux de rôles, le lourd héritage, les codes et traditions, bref la culture du striptease : le boa de plumes, les porte-jarretelles, Rita Hayworth, le cabaret, les paillettes, les bas résille, Rita Renoir, les gestes rituels, etc. Déjà, Roland Barthes, dans "Mythologies", avait traité de l'artifice surcodé du striptease. Dès lors pourquoi le striptease serait-il plus "vrai" qu'une parade ? Et plus authentique la nudité que le vêtement, ou alors l'écorché ?... Le texte de Cédric Orain questionne le regard qui scrute, Céline Milliat-Baumgartner secoue les fausses évidences du striptease. Alors, la vérité s'avère plus construite que dévoilée, et le striptease moins révélation que dispositif de désir.

      Le théâtre verbatim est un théâtre né dans les années 1990, affirmant que tout ce qu'il rapporte est véridique : faits journalistiques, interviews réalisées par l'auteur, rapports de commissions d'enquête, etc. C'est un autre avatar du naturalisme, prévalant en Angleterre. On perçoit vite en quoi il est de l'anti-théâtre : se dire véridique, anti-masques et objectif alors que la scène se donne comme l'espace de l'illusion, le lieu privilégié du masque et du subjectif. On perçoit moins vite en quoi cet anti-théâtre est encore du théâtre, comme l'anti-art a été finalement de l'art... La pièce Occupe-toi de bébé de l'anglais Dennis Kelly nous y aide grandement, puisque c'est une pièce verbatim typique, avec fait divers journalistique, interviews, croisement des informations. Or tout y est... complètement inventé ! Dès lors, il ne reste plus - après avoir évidé la matière de l'anecdote - que les protocoles et modèles de déroulement censés garantir l'authenticité de ce qui est montré. Et ces protocoles s'assimilent à des procédés esthétiques, une fois de plus... Aleks Sierz l'écrit avec humour dans "Verbatim theatre in Britain today" : "Comme tout autre théâtre, le théâtre verbatim est le résultat d'une mise au point et d'une sélection rigoureuses. Plus il se vante de sa nature factuelle, plus vous devriez être sceptiques". Le metteur en scène, Olivier Werner, s'est jeté goulûment sur cette étonnante exception, signée Dennis Kelly, d'un théâtre documentaire (ou verbatim) n'étant que de la fiction (une histoire de double infanticide, hélas tout à fait vraisemblable), pour exhiber tous ces dispositifs, notamment télévisuels, lors de ces "psy-shows" rituels de notre "société du spectacle". Ce qui est vrai alors n'est pas ce qu'on nous montre comme tel (en fait une représentation mélodramatique de soi, un exhibitionnisme de la rédemption, une emphase de la pseudo-sincérité...), mais tout le dispositif qui produit des "effets de réalité" : de la caméra agressive aux questions directes, brutales, en passant par la rugosité du rendu. C'est étrange comme le spectateur adore le réel (les frissons qu'il procure), à condition qu'il ressemble fidèlement... à ce qu'il croit être le réel !

Pierre Corcos

Le théâtre : Le mot et l'image par  Pierre Corcos
© E. Carecchi
mis en ligne le 21/04/2011
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