Dossier Nathalie Du Pasquier

Nathalie Du Pasquier,
Des ensembles faits des fragments d’un même monde

par Jean-Luc Chalumeau

Par le moyen de la peinture dont elle connaît les secrets hérités des plus grands anciens (ce n’est pas par hasard que viennent instinctivement sous la plume, quand il s’agit d’évoquer ses tableaux, entre autres les noms de Piero della Francesca et Chardin), Nathalie Du Pasquier construit un objet esthétique exerçant un pouvoir souverain : celui qui consiste à irréaliser le réel en l’esthétisant. Rien de plus délectable, par exemple, que sa manière de rompre les blancs et de multiplier les gris, ceux des ombres en particulier, que l’on croirait volontiers fictives, mais qui fonctionnent cependant exclusivement selon les lois de sa vision. Beauté du procédé, vertige de l’artifice : Du Pasquier, comme Piero désignant l’aplomb du fil doré dans l’abside de La Palla de Brera, le fil où est suspendu l’œuf, nous indique souvent l’endroit du tableau où se trouve la clef de sa construction. Rien ne nous empêche, en cherchant cette dernière chez elle, de goûter en cheminant la saveur de ses ocres et de ses verts, ceux surtout des carafes vides porteuses de savants reflets qui paraissent pourtant si simples.

Nous éprouverons au cours de notre recherche que c’est à condition de s’incarner que l’objet esthétique apparaît dans le monde ; c’est ainsi qu’il réalise son être, preuve qu’il importe décidément à l’objet esthétique de ne pas se séparer du monde, tout en gardant impérativement ses distances. Les tasses, les gobelets et les carafes de Nathalie Du Pasquier sont bien de notre monde, et pourtant ils lui échappent. Sans doute attendent-ils que nous nous lancions à leur poursuite, en nous communiquant la certitude que nous éprouverons, dans le mouvement d’une course qui sera aussi une contemplation, des plaisirs d’une qualité rare.

Bonnard pensait avec tristesse, paraît-il, que « l’art est une passion périmée », et Malevitch avait renchéri en affirmant que l’art ne serait bientôt plus qu’un « préjugé du passé ». Les tableaux et les sculptures de Nathalie Du Pasquier ne veulent évidemment rien démontrer, mais ils montrent avec une merveilleuse clarté que les craintes de Bonnard et Malevitch étaient trop radicales en dépit des innombrables provocations « anti-art » qui ont paru leur donner raison au cours du dernier siècle : l’art n’est pas périmé, et il est toujours affaire de passion. Une passion réellement bien actuelle grâce à des artistes comme Nathalie Du Pasquier, et joyeuse de surcroît.

jean-Luc Chalumeau

mis en ligne le 01/09/2011
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