Les artistes et les expos
Baselitz, un sculpteur monumental
par Marie-Noëlle Doutreix
mis en ligne le 28/12/2011

Les « têtes » de Baselitz peuvent, pour beaucoup, être mises en relation avec des dessins également exposés, qu’il fit au crayon, à la craie noire ou au fusain. Le propos de l’exposition n’étant pas de les désigner comme des esquisses préparatoires, ceux-ci résident dans une salle à part, demandant un peu d’attention pour les mettre en parallèle avec les sculptures précédemment regardées. On retrouve ainsi le motif de « Blauer Kopf », « tête bleue » de 1983, ou encore « Tragischer Kopf » « tête tragique » de 1988. Ce visage au nez proéminent, évoquant Pinocchio ou même les masques de la Commedia dell’ Arte, marque d’ailleurs un tournant qui introduit une période plus sombre dans laquelle les figures quittent leur demi-sourire espiègle pour la série tragique des « Dresdner Frauen » « Femmes de Dresde » (1989 - 1990).
Ces treize têtes possèdent comme point commun immédiat leur couleur jaune et terne. Baselitz qui jusque-là alternait presque exclusivement le bleu et le rouge s’empare ici de la troisième couleur primaire. Cette volonté d’exprimer une identité commune à ces femmes se traduit aussi par l’homogénéité de leur portrait en format monumental, et par l’utilisation du creux plutôt que du bombé pour dessiner les traits. En effet, dans les « figures debout », le nez, les yeux et la bouche profitaient d’un volume rehaussé par des contours colorés. Ici la couleur est uniformisée sur toute la surface et les entailles des organes sensoriels se confondent avec les stries qui parsèment et marquent le visage. L’histoire sombre de l’Allemagne à travers le bombardement de la ville de Dresde prend toute sont ampleur dans l’œuvre « Dresdner Frauer – Giebel », « Femmes de Dresde – Pignon », qui seule de l’exposition touche de si près l’abstraction. Rien n’est plus distinguable dans cette masse ovale sur tronc que des cratères eux-mêmes entaillés plus profondément encore. Le choix de l’abstraction permet ici à Baselitz de mettre en valeur l’horreur d’une figuration éventuelle. Cette sculpture transpose par son abstraction la figure de la victime dans son universalité.

La salle suivante expose sept toiles monumentales peintes au printemps 2011. Malgré le fait qu’elles ne soient pas mises en relation avec les autres œuvres présentées, peut-être sont-elles d’ailleurs trop à part pour que cela se puisse, ces peintures inédites constituent une agréable surprise. Baselitz reprend ici sa principale caractéristique picturale, la figure inversée, et à l’aide de nuances plus ou moins colorées de blanc et de noir, nous livre des portraits véhéments. Sur chaque tableau est représenté le même visage, une ou deux fois, frontalement, grimaçant d’une expression douloureuse, la bouche ouverte, les dents apparentes et les sourcils froncés. Dessinés par traits fins de peinture à l’huile, et agrémentés de nombreuses petites taches rondes, les portraits nous fixent et nous interpellent. Parfois une large bande noire sépare les figures doubles. Ce visage et ses différentes expressions rappellent les clichés photographiques de Duchenne de Boulogne. Ce médecin neurologue du XIXème siècle, s’exerçait à des expériences électriques sur un cobaye humain paralysé afin de recenser toutes les expressions du visage. Par ailleurs, les titres des œuvres sont des jeux de mots allemands et bavarois, intraduisibles, dans lesquels on distingue cependant le nom de Freud. L’impression d‘inachevé et d’étrangeté de ces toiles est caractéristique du travail plastique global de Baselitz qui laisse volontairement le regardeur dans une relative incompréhension.

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Retour sur l’exposition au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris consacrée jusqu’au 29 janvier 2012 aux sculptures de Baselitz

Les artistes et les expos : Baselitz, un sculpteur monumental par Marie-Noëlle Doutreix