Les artistes et les expos

Exhibitions, l'invention du sauvage
La représentation de « l'autre » comme enjeu colonial

par Marie-Noëlle Doutreix

Exhibitions, l’invention du sauvage. La représentation de « l’autre » comme enjeu colonial par Marie-Noëlle Doutreix

mis en ligne le 18/04/2012

Présentée jusqu’au 3 juin 2012 au Musée du Quai Branly à Paris, l’exposition « Exhibitions, l’invention du sauvage » témoigne de la façon dont des idées éminemment discriminantes furent diffusées à travers les expositions universelles et coloniales européennes par les gouvernements afin de justifier leur politique colonialiste.

       Depuis les travaux de Nancy Fraser, notamment Repenser la sphère publique, une contribution à la critique de la démocratie telle qu’elle existe réellement [1], l’idée que les minorités, ethniques ou autres, puissent accéder au champ politique en passant par le champ culturel est couramment admise. Le champ culturel permettant dans ce cas à une communauté de se fédérer, d’affirmer son identité et de se constituer en tant que « contre public subalterne » revendiquant un accès à la sphère publique. Le champ culturel représente ainsi un espace d’émancipation. Avec l’exposition « Exhibitions, l’invention du sauvage », c’est surtout le phénomène inverse qui attire notre attention ; l’utilisation par les gouvernements européens du champ « culturel » et du divertissement pour justifier et faire accepter leur politique colonialiste. Car pour les millions de visiteurs qui se pressaient aux expositions universelles et aux expositions coloniales, avides de voir l’exubérant « sauvage » il s’agissait bien là de divertissement. Tout était d’ailleurs agencé pour que « l’autre » apparaisse dans sa dimension la plus anormale, difforme, voire monstrueuse.

       La première exposition coloniale eut lieu en 1883 à Amsterdam, mais les pavillons coloniaux furent présents dès la première exposition universelle à Londres en 1851. Les voyages étant à l’époque peu nombreux, la population européenne ne connut ses colonies qu’à travers les supports médiatiques de l’époque, et ces expositions. Celles-ci ont constitué un prisme de connaissance pour les européens de ce qu’étaient les colonies, et leurs habitants. D’après Pascal Blanchard, commissaire de l’exposition « Exhibitions, l’invention du sauvage », les expositions coloniales remplissaient un triple objectif pour les nations européennes de fierté et de prétexte à des discours nationaux, d’explication des colonies auprès de la population, et de persuasion auprès de cette même population des bienfaits de la mécanique coloniale. Ce triple objectif passait par la mise en scène, le spectacle et surtout par la monstration de « l’autre » comme être éminemment inférieur.

[1] Extrait de Habermas and the Public Sphere, sous la direction de Craig Calhoun, Cambridge, MIT Press, 1992, p. 109-142

pages 1 / 2 / 3
suite >
 
action d'éclat