Les artistes et les expos

Exhibitions, l'invention du sauvage
La représentation de « l'autre » comme enjeu colonial

par Marie-Noëlle Doutreix

Exhibitions, l’invention du sauvage. La représentation de « l’autre » comme enjeu colonial par Marie-Noëlle Doutreix

mis en ligne le 18/04/2012

       Qu’est-il resté de cette politique d’assujettissement et d’exhibition de « l’autre » ? Des milliers d’images produites par la culture de masse illustrant l’ampleur de cette politique, des préjugés de civilisations tenaces, et le renforcement de la différence comme frontière invisible au sein même d’une seule entité.
       L’élite coloniale a justifié ses objectifs impérialistes par la création d’une culture populaire basée sur l’infériorité de « l’autre ». Le racisme a donc pu infiltrer l’opinion publique, sans violence apparente, par le biais du divertissement. Ces exhibitions constituent aujourd’hui un triste exemple de la facilité avec laquelle des idées discriminantes peuvent être, de manière plus générale, popularisées en très peu de temps par le champ culturel.
       N’est –il donc pas nécessaire aux historiens, chercheurs, écrivains ou commissaires d’expositions voulant diffuser leurs travaux sur ces exhibitions, d’avoir un positionnement clair vis à vis de ces sujets difficiles, pas encore tout à fait assumés par l’Histoire de France et par L’État Français ? Les récentes polémiques autour des corps non rendus de ces personnes exhibées, et le silence des hommes politiques lors de séjours en Outre Mer en témoignent. La table ronde du 9 février dernier intitulée « Les expositions au Musée du Quai Branly sur les expositions coloniales » a également suscité des tensions et des incompréhensions dans la salle, en partie dues au manque de prise de position contre la pratique de ces exhibitions. Alors qu’il ne fait nul doute que les « zoos humains » sont inhumains, pourquoi dans « Exhibitions, l’invention du sauvage », ceux-ci ne sont-ils pas explicitement condamnés ? Le point de vue de la personne exhibée ne transparait pas dans l’exposition, les commissaires ne lui donnant pas la parole qui lui manquait déjà à l’époque.

       Lors de la conférence une question s’est posée : Vaut-il mieux parler de ce passé délicat pour sensibiliser les nouvelles générations et les anciennes qui auraient oublié, dans le but peut-être d’accélérer le rendu des corps aux pays concernés et de reconnaître notre faute auprès de ces populations discriminées ; ou alors vaut-il mieux taire et oublier le passé pour ne pas raviver les tensions ?  Sans vouloir simplifier les enjeux, l’ignorance mène rarement à la tolérance, alors, oui, en parler est probablement bénéfique mais peut-être en gardant à l’esprit, pour ceux qui ont comme rôle de diffuser la connaissance, que ces questions sensibles méritent des précautions et un positionnement clairement humaniste, pour qu’aucune confusion d’ordre moral ne soit possible.
       « Exhibitions, l’invention du sauvage » se finit par une œuvre d’art contemporaine au titre évocateur : « Qui est votre sauvage ? ». Cette œuvre vidéo de Vincent Elka est une réflexion bienvenue sur les diverses formes de discriminations actuelles. Elle prône cette idée intelligente bien qu’inévitablement réductrice, que ce qui est anormal, c’est le racisme.

Marie-Noëlle Doutreix

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