Dossier Claude Jeanmart
À l'aveugle

par Gérard-Georges Lemaire

mis en ligne le 18/04/2012

J’ai emprunté à Claudio Magris le titre de son dernier roman, Alla ciecca, pour introduire ce que l’œuvre de Claude Jeanmart, souvent épaulée depuis quelque temps par son épouse Denise, a pu et peut encore aujourd’hui m’inspirer comme émotion et comme réflexion.
       J’ai emprunté ce titre au grand auteur italien pour faire un lien entre les premiers travaux que j’ai pu découvrir de Claude Jeanmart, il y a de nombreuses années : quand il est venu me rendre visite à Paris pour la première fois, il avait sous le bras un grand carton à dessin. Il m’a montré en silence de nombreux dessins. La plupart d’entre eux avaient affaire avec la danse. Il s’efforçait alors de saisir le mouvement, cela était l’évidence même, mais quelque chose d’autre : ce qui, dans cet art, n’existe qu’une fraction de seconde, ce qui est et ne sera jamais plus. L’œil enregistre cet instant fugitif et magique – il doit l’immortaliser tout en conservant son caractère intrinsèque : le déroulement d’une intrigue plastique dans l’espace. Des artistes illustres s’y sont essayé avant lui, comme Edgar Degas, Auguste Rodin, Henri Matisse, Kirschner, et tant d’autres. Mais ce qu’il faisait à cette époque était plus du ressort de ce que Paul Valéry avait écrit dans ses pages sur Degas. Il voulait aller jusqu’au point le plus paradoxal de cette « prise de vue ». Il n’était pas question pour lui de se contenter d’enregistrer le geste comme le ferait un appareil photographique, mais d’enregistrer aussi les émotions qu’il traduit et celles qu’il provoque. C’était ambitieux et risqué. Il avait sacrifié une partie de la pure joie du dessin pour se rapprocher du modèle, puis l’avait retraduit dans ses termes qui lui étaient propres.
       Le rapport de l’œil et du dessin est resté pour lui une constante. Dans l’excès de vérité – une vérité qui est paradoxale puisqu’elle se rapproche de l’abstraction dans le cas de la danse – ou dans son contraire, c’est-à-dire dans l’obscurité totale. Quand il enseignait le dessin à ses amis, il avait eu l’idée de leur proposer un modèle qu’ils pouvaient étudier pendant un temps limité.

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