Dossier Claude Jeanmart
La tasse (pour les maîtres de l'ombre D. et C. Jeanmart)
par Max Guedj
mis en ligne le 18/04/2012

Pour les maîtres de l’ombre, Denise et Claude Jeanmart

L’INSOMNIE S’Y PRÊTE. La ténèbre est épaisse. Mais j’ai des maîtres. On ne part pas sans guides dans ce voyage, les yeux vides. Rencontre aux frontières d’un désert, comme il se doit. Aujourd’hui appelons ce désert la nuit. Le moment le plus critique : lorsque ma main s’est approchée de la tasse (je m’étais levé pour me verser du café, à tâtons.) Critique, oui: éviter que le contact de la tasse à ramages fasse monter le mot « tasse ». Condition sine qua non pour qu’elle devienne « tasse aveugle », comme on dit « corps aveugle » (le tout s’était passé en nuit noire. Les réverbères, les phares, les numéros électriques, les points jaunes luisant dans l’obscurité, tout cela ne devait plus exister à l’instant critique, n’exista plus. Il fut opéré d’un double glaucome. Je l’y conduisis. Plus tard, il ne) En cet instant : moi être... kaolin, moi être... odeur de café.
« Contact ! » Tu dois (soliloquais-je) (pourquoi tu dois? Obligation de la métaphysique, la nécessité est là, chacun, dans ces cavernes où on n’enseigne que les ombres, la reconnaît). (ne me reconnut même pas. Il n’avait pas) retrouver La cécité de Ta naissance humaine. De ta naissance malheureuse : où un instant s’opposèrent vie et mort, où ton existence en suspens vacilla, puis gagna. Alors advient le Sens, mais le sens n’est jamais qu’un sens, et c’est, cette nuit, le savoir de ce sens que tu refuses. Alors quand la tasse ne fut plus la tasse (quand enfin la chose se défit du mot) s’éleva (quand la chose libéra son sens) loin au-dessus d’elle une aurore polychrome, mes doigts la « voyaient », (ne me reconnut même pas , le père aveugle, pas même à tâtons) aurore, boréale, dans ses dédoublements polaires , colorés, diaprés, d’une altitude vertigineuse : comment parler de couleurs tu n’en as jamais vu, l’aveugle, quel subterfuge : de nouveau quelle tricherie. (Non, j’ai un truc. Je presse avec mes doigts sur mes globes ex-oculaires : de la couleur surgit en étincelles, en cascades.)(non, l’aveugle rêve, donc en images)

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