Monographie
LE MAÎTRE ET LA MARGUERITE ET LE TRANSPORT
       ARTISTIQUE DE LA TULIPE
              (Autant en emporte le vent...)
par Gérard-Georges Lemaire
mis en ligne le 18/04/2012

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              Au Moyen Age, elle a joué un rôle de poids dans les règles et les codes de l’amour courtois. Quand une dame voulait qu’on manifestât publiquement l’amour qu’on lui portait, elle invitait son chevalier à graver une marguerite double sur son armure. Cette marque n’était pas purement rhétorique puisqu’elle signifiait que l’homme l’épouserait dès son retour. Si la dame aimée se paraît d’une couronne de marguerites, le chevalier pouvait être assuré qu’elle lui resterait fidèle jusqu’à son retour.
              Le mot marguerite dérive du latin margarita, qui veut dire perle. En réalité, il dériverait du vocable persan mervarid, qui lui aussi désigne la perle. Etrange glissement de sens ! De la perle à la marguerite, il y a un océan et plus encore. Et pourtant, c’est sans doute de cette origine lointaine que lui vient cette entrée royale dans l’herbier de l’amour médiéval. En témoignent les enluminures et les dessins sur les tapisseries représentant des semis de ces fleurs.
               Les poètes l’ont célébré, à commencer par Jean Froissart (vers 1337-vers 1404) qui écrivait : « Sur toutes fleurs j’aime la marguerite… » Et puis, au sein de la Pléiade, Jean de La Taille (1533-1616) lui a dressé un véritable monument : « En avril où naquit Amour/J’entrai dans mon jardin un jour,/Où la beauté d’une fleurette/Me plut sur celles que j’y vis. […]/Ce fut la belle marguerite,/Qu’au cœur j’aurai toujours écrite. »
              Et cet engouement n’est pas exclusivement lié à la culture française. Il suffit de franchir la Manche et de lire les vers de Geoffrey Chaucer (vers 1343-1400), le « Père de la poésie anglaise », qui fut tout aussi attaché à sa beauté champêtre : « De toutes les fleurs de ce monde,/Celles que j’aime le plus sont ces fleurs blanches et rouges,/Qu’on a appelées marguerites… »
              Ce ne fut pas non plus une infatuation du seul Moyen Age. William Wordsworh (1770-1850) la présenta comme la « préférée du poète » (« the poet darling ») et lui a consacré plusieurs poèmes dont l’un évoque cette « Fleur brillante, dont la demeure est partout… » et l’a associée au « charme de l’appel de la poésie et de l’amour… » Le malheureux Thomas Chatterton (1752-1770), qui s’est suicidé à l’arsenic à l’âge de dix-huit ans, l’auteur des faux contes d’Ossian, a dépeint avec ravissement le « manteau de marguerites sur la montagne… ». dans les textes en faux anglais ancien qu’il avait attribués au moine Rowley. Le grand auteur écossais Robert Burns (1759-1796), qui n’écrivait pas qu’en light scots, lui aussi l’a vénérée quand il a signée le poème intitulée « To a Mountain Daisy » : « Même toi qui compatit sur le destin des marguerites,/Ce destin est le tien… » Et Elizabeth Barrett Browning (1806-1861) l’a aimée tout autant dans une des ses œuvres plus appréciées et lues, Hector in the Garden : « Et un armure de marguerites,/Etroitement serrées feuille contre feuille,/Des escargots entrelacés/Dessinent une ceinture autour de leur taille…. »

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