Dossier Pierre Marie Lejeune
Pierre Marie Lejeune ou le dévoilement d'un monde
par Jean-Luc Chalumeau

Non pas que la biographie de PML soit sans intérêt, mais, puisqu'il s'agit d'envisager la globalité de son œuvre, aussi bien Picto (qui fut notamment installé sur la promenade des Anglais à Nice en 2005 ou dans le parc de Montigny en 2010) que les pièces dressées comme des totems dites Ma 129 ou Ma 147 apparemment fort différentes, il faut comprendre que si la biographie cherche évidemment son centre de gravité dans l'activité créatrice de l'artiste, elle a d'abord été sollicitée par l'œuvre, si bien que ce n'est pas la biographie qui nous instruit de l'auteur, c'est l'œuvre elle-même. Disons que la biographie ne peut nous instruire que si elle a préalablement été en quelque sorte « instruite » par l'œuvre.

L'ensemble de la démarche de PML ne cesse d'évoquer implicitement la différence de l'objet esthétique avec l'objet usuel : il s'agit de la même différence qu'entre les deux fonctions du langage qui, d'une part transmet des significations impersonnelles, et d'autre part exprime une personne. L'objet usuel est absorbé par l'usage que nous en faisons ; l'objet esthétique ne sollicite directement aucune utilisation, il ne nous parle que de son auteur en manifestant un style. Or le style se reconnaît quand il y a substitution de formes voulues par l'esprit à la multiplicité incohérente des formes naturelles. Il est la marque d'une activité organisatrice recherchant la forme la plus pure. Nous éprouvons bien, devant les O barrés de Pierre Marie Lejeune (Picto en était un exemple), particulièrement caractéristiques de son œuvre, que l'artiste a accédé à son style par la maîtrise d'un certain répertoire formel.

Ici, distinguons bien style et métier. Certes le style est d'abord métier, et nous n'entrerons pas dans la distinction classique, trop radicale, opérée par André Malraux entre l'artisan qui imite et l'artiste qui refuse l'imitation parce qu'il est volonté de puissance. L'invention peut bien sûr procéder d'une révolte, mais elle n'en requiert pas moins ensuite l'apprentissage d'un savoir faire. J'admire chez PML le style en tant que métier, en l'occurrence un métier qui lui permet de s'exprimer et d'être lui-même. J'éprouve particulièrement, devant les nombreuses pièces dans lesquelles il discipline la lumière et l'intègre à l'acier patiné (At 2, 2002) ou au laiton brossé (Ma 129, 2007) à quel point elles sont des actes prémédités nécessitant un soin d'exécution extrême, visant un effet précis, et livrant paradoxalement au bout du compte la forte présence de la spontanéité humaine. Il y a style là où apparaît l'auteur, et il l'est dans ces œuvres par ce qu'il y a en lui de proprement technique : une certaine façon d'aborder des matériaux de prédilection pour obtenir, par des simplifications et des combinaisons qui n'appartiennent qu'à PML, une manière unique d'affirmer sa liberté à l'égard de toutes les données et de tous les modèles.

mis en ligne le 12/07/2012
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