chroniques - art contemporain - photographie - photography

version impression
participez au Déb@t

Chronique de l’an IV (3)
Chronique de l’an IV (3) par Gérard-Georges Lemaire
Par Gérard-Georges Lemaire

Le FRAC Lorraine, jusqu’alors dépourvu d’espace d’exposition fixe, vient d’emménager dans l’Hôtel Saint – Livier, situé au centre de Metz, ancienne demeure patricienne féodale construite par les familles nobles de la ville.
La réhabilitation de ces lieux historiques vient d’être achevée sous la responsabilité de l’architecte Jean-François Bodin. Le FRAC Lorraine est détenteur d’une collection de près de six cents œuvres, photographies, sculptures, vidéos et installations, valorisant en particulier le travail de femmesLe grand Monde antique
Les éditions Hazan publient une collection faisant office d’introduction à des périodes de l’histoire de l’art baptisée « L’Atelier ». Les livres sont agréables à manipuler, plaisant à lire et bien informés. Le dernier titre en date, Le Gothique international, nous présente un moment très particulier de l’art en Occident, à cheval entre le Moyen Âge et la Renaissance, avec des différences notables entre les différents pays. C’est sans doute l’un des plus fascinants et Ines Villela-Petiot s’est bien sortie de cette tâche qui n’a pas dû être simple. Indispensable pour s’initier à un monde en mutation. L’ouvrage intitulé Du gothique à la Renaissance devrait compléter le précédent. Il s’agit de monographies des maîtres du début de cette révolution profonde des connaissances, de la vie sociale et politique et des arts. Le choix des artistes peut surprendre (l’absence de Cimabue est presque sidérante) et on se demande pourquoi l’on va aussi loin que Masaccio et Lippi. C’est vraiment regrettable car une présentation des maîtres qui ont marqué de leur empreinte cette transition manque à l’heure qu’il est.
Le Gothique international, Ines Villela-Petiot, Hazan/Louvre.
Du Gothique à la Renaissance, Hazan.


La somme de Panofsky sur Dürer reste un modèle du genre. Le rééditer est non seulement nécessaire pour les spécialistes, mais aussi pour qui veut apprendre à connaître les maîtres d’autrefois sans tomber dans les leurres de la mythologie du génie immortel ni dans la dissection historiographique. L’auteur de Melancolia est ici restitué dans toute la richesse de son existence et la profondeur de sa recherche, à partir de son contexte dans toute sa complexité (existentiel, historique, artistique, culturel, scientifique), mais aussi de sa démarche propre. Ce livre demeure aujourd’hui un modèle qui n’a pas été dépassé – loin s’en faut.
Avec son étude sur Le Titien, Panofsky a montré quels avantages apportent sa méthode de travail telle qu’elle a été présentée dans ses Essais d’iconologie (Gallimard, 1968). Aucune méthode n’est parfaite, celle-là pas plus qu’une autre. Mais c’est au moins la plus respectueuse de l’œuvre picturale. Elle permet aussi d’explorer les différentes significations après avoir soigneusement analysé ses bases matérielles, historiques, culturelles. Les conférences réunies dans ce volume permettent de traiter de chaque question avec la même perspective, mais chaque fois en posant des questions spécifiques. Et c’est chaque fois l’occasion d’explorer une des grandes problématiques de la Renaissance comme, par exemple, la relation avec la littérature antique, comme on le constate, par exemple, dans « Le Titien et Ovide ». Mieux connaître Le Titien en connaissant mieux tous les paramètres de son temps et de son horizon littéraire, artistique et scientifique, voilà ce que nous offrent ces parleries de Panofsky, précieuses et incontournables.
La vie et l’œuvre d’Albrecht Dürer, Erwin Panofsky, préface de François-René Martin, tr D. Le Bourg, Hazan.
Le Titien. Questions d’iconographie, Erwin Panofsky, préface de D. H. Bodart, tr. E. Hazan, Hazan.


Qui n’a jamais vu l’une ou l’autre des illustrations de ce Kâma Sûtra publié au XVIIe siècle à Bikaner ? Mais de les retrouver pour la plupart réunis en petit volume élégant est un grand plaisir qu’on ne saurait bouder. L’introduction de Wendy Doninger n’est guère passionnante (elle enfonce des portes ouvertes) et on aurait préféré que le texte soit reproduit à côté de ces merveilleuses miniatures, qui allient érotisme et esthétisme, ce qui est devenu chose rare à l’époque des parties fines de C. M. Évidemment, tout le monde n’est pas adepte de Kierkegaard et l’on veut ignorer que la liberté que suppose l’érotisme conjugue intimement la bestialité et le sublime. C’est une réconciliation peut-être ambiguë mais en tout cas profonde avec le divin, celle des mystiques étant une quête de l’absolu qui retranche le contingent au nom de l’immanent.
Le Kama Sûtra de Bikaner, Wendy Doninger, Gallimard.


C’est de notoriété publique : les expositions de l’Institut néerlandais de Paris sont remarquables. Celle qui a été baptisée Regards sur l’art hollandais du XVIIe siècle et qui rassemble des œuvres de la collection de Fits Lugt et de celle des frères Dutuit était exceptionnelle. L’imposant et sérieux catalogue qui en conserve le souvenir en témoigne amplement. On y trouve de merveilleux portraits exécutés par Hendrick Pot, Adrian van Ostade, Esaias Boursse, Pieter Codde, avec toutes ces femmes et ces hommes vêtus de noir, des paysages féeriques, comme ceux Jan Hackaert ou de Jan Lievens, des intérieurs métaphysiques ou cocasses (comme celui peint par Jacobus Vrel). En somme, sans faire des énumérations fastidieuses, ces collections recèlent des trésors inestimables qui sont enfin accessibles dans un superbe volume extrêmement bien documenté. Ah, si les instituts français à l’étranger pouvaient prendre modèle sur cette magnifique vitrine de la Hollande… Mais il ne sert à rien de rêver…
Regards sur l’art hollandais du XVIIe siècle, Fondation custodia/Adam Biro.


Michel Ragon a signé une très honnête vie de Courbet. Il y en a eu déjà beaucoup et, récemment, d’assez mauvaises. Il a étudié avec soin le parcours de cet artiste d’un talent incomparable mais qui va être victime de sa vanité et de sa vantardise. Qu’on se plonge dans le récit de sa participation à la Commune de Paris. D’abord président de la Commission des artistes, il se voit confier le soin de rétablir le fonctionnement des musées et d’assurer la continuité du Salon, et le même jour d’abattre la colonne de la place Vendôme. Il n’en a fallu pas moins pour accuser le peintre d’en avoir ordonné la démolition. Mais il avait eu l’imprudence d’en avoir eu l’idée peu de temps auparavant et, condamné, il n’a d’autre ressource pour sortir de la prison de Sainte-Pélagie que d’en proposer le remboursement intégral grâce aux deux toiles qui avaient été saisies. Ragon analyse ces événements avec prudence et grand soin et rétablit des vérités. Courbet avait bien du génie mais s’est souvent montré maladroit face aux événements. Et il en a payé le prix fort.
Gustave Courbet, peintre de la liberté, Miche Ragon, Fayard.


Le petit monde moderne

L’histoire de l’art moderne présentée par Florence de Méredieu est d’autant plus précieuse qu’elle ne ressasse pas les chronologies plus ou moins heureuses et, surtout, plus ou moins tendancieuse qu’on a l’habitude de trouver aujourd’hui.
Elle a une volonté encyclopédique qui se traduit par le traitement de grands thèmes, consacrant par exemple toute une partie sur la couleur et une autre sur la lumière. Les matériaux y tiennent une place considérable. On y trouve des entrées comme le langage ou l’espace, le temps, la vitesse. En somme, cet imposant volume constitue une autre façon de pénétrer dans les arcanes de la modernité, avec intelligence et aussi avec la possibilité de se retrouver dans le foisonnement d’expériences qui ont eu lieu tout au long du siècle précédent.
Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne, Florence de Méredieu, Larousse.


Que reste-t-il de l’enseignement du Bauhaus ? Cet établissement est devenu un tel mythe dans l’histoire de l’art du siècle passé qu’on a perdu de vue sa réalité et sa finalité. La publication des Cours du Bauhaus de Paul Klee, avec de magnifiques fac-similés de ses notes préparatoires nous fournit l’occasion rêvée de se demander est-ce que les grands artistes font de grands pédagogues ? Comme Kandinsky, Klee s’est servi de sa position magistrale pour élaborer une théorie de la peinture qui est avant tout la sienne propre et non une méthode permettant à des jeunes gens de s’initier au métier. L’artiste s’interroge et partage ses préoccupations avec ses étudiants. Est-ce une théorie ? Il s’agit là plutôt d’une méditation à voix haute où il tente de s’expliquer le processus de la création plastique. Il n’est pas innocent que Klee commence son cours en comparant l’étude de l’œuvre d’art à l’analyse en chimie. Bien sûr, il serait intéressant de compléter cette étude avec ce qu’il a pu réaliser dans les ateliers de reliure ou de peinture sur verre où l’aspect pratique passe au premier plan. L’art moderne peut-il s’enseigner ? Peut-être pas ou sinon par l’exemple. C’est ce que semblent prouver les écrits de Klee.
L’exposition de Klee au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg a donné lieu à un superbe catalogue. Celui-ci, maintenant que l’exposition est achevée, permet de prendre toute la mesure de l’étonnante aventure plastique de l’artiste suisse. L’aspect le plus remarquable de cette revisitation de son œuvre est qu’elle ne constitue jamais un système et qu’elle ne fonctionne pas par cycles. On éprouve même le sentiment qu’elle est sous-tendue par une poétique plus que par une conception de l’art. Plusieurs peintres cohabitent en lui et travaillent à des conceptions sensiblement différentes de l’espace pictural. Leur point commun est de ne pas chercher à faire des tableaux monumentaux mais, au contraire, de produire des ouvrages menus qui sont plus proches de l’esquisse ou de l’ébauche. Klee se plaît à saisir l’éphémère et l’émotion d’un moment précieux mais infime. Cela ne l’empêche pas de construire ses aquarelles ou ses huiles avec une science consommée et une application rare. Klee a travaillé dans ce paradoxe. C’est ce qui rend unique ce qu’il a accompli.
Cours du Bauhaus, Paul Klee, tr. Claude Riehl, Hazan/Musées de Strasbourg.
Paul Klee et la nature de l’art, Hazan/Musées de Strasbourg.


Les musées Picasso se multiplient et les ouvrages sur son compte continuent à paraître en quantités astronomiques. Il faudra bientôt construire une Très Grand Bibliothèque Pablo Picasso pour les conserver. L’exposition qui lui est consacrée à Céret ajoute un bel ouvrage, qui démontre que Picasso a voulu ne rien ignorer : la terre cuite, la céramique, la faïence, les bijoux, rien, vraiment rien n’a échappé à sa voracité. Ce volume fournit l’occasion de découvrir cet attachement de l’artiste pour les arts dits mineurs, surtout à la fin de sa carrière. Une partie est consacrée au décor de théâtre, mais ce thème n’est ici traité que de manière fragmentaire. Cela fait tout de même un beau catalogue plutôt destiné à ceux qui veulent découvrir les aspects moins connus de l’énorme manufacture picassienne.
Picasso, peinture d’objets, objets de peinture, Gallimard.

  page 1 / 3 suite >
mis en ligne le 02/11/2004
Droits de reproduction et de diffusion réservés; © visuelimage.com - bee.come créations