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Le cas Demosthènes Davvétas
Démosthènes Davvétas, aède et boxeur
Le cas Demosthènes Davvétas : Démosthènes Davvétas, aède et boxeur par Thierry Laurent
par Thierry Laurent
Regardez-le ! C’est Démosthènes le boxeur. Un costaud ! Épaules larges, biscoteaux d’enfer. Dans les milieux de l’art, le genre viril n’est pas à la mode. Il est préférable d’aborder un look fragile, non sportif, s’habiller de sombre, l’allure maigre et un tantinet intello. Davvetas, lui, n’as pas le look critique d’art, il n’a pas le look artiste, il n’a pas le look professeur. Plutôt fort des Halles, plutôt docker sur le port d’Athènes, rockeur de bastringue, séducteur de filles de bal, avec sa voix rocailleuse, son œil malicieux et sa dégaine de brute. Mais ce qu’on en sait pas, est qu’il faut clamer haut est fort, c’est que Démosthènes le boxeur est d’abord un artiste, rien qu’un artiste, mieux, un poète.

Duchamp a inventé le ready-made, Démosthènes le «ready-boxing». Car ses plus grandes performances sont des matchs de boxe qu’il organise dans des centres d’art ou des galeries. Celui à la galerie Michel Rein était un vrai match, avec de vrais gants, un vrai short de boxeur, de vrais brodequins, de vrais coups en pleine gueule. Et c’est vrai que l’indexation de la boxe comme forme d’art exige de l’entraînement, et Démosthènes le costaud s’entraîne quatre heures par jour. Il y avait donc un match de boxe organisée à la galerie Michel Rein. Et les coups partaient. En face, un gros black, souple, alerte et bien entraîné, le corps lisse, le regard vif, avec des allures de fauves aux aguets. Allons, disons la vérité : Démosthènes n’en menait pas très large. Car le black esquivait et remisait ses coups avec habileté. Et pan, direct du gauche, et paf direct du droit, uppercut, enchaînement, droite, gauche, esquive, coudes au corps, esquive, corps à corps, Démosthènes fait front, fronce les sourcils, résiste, s’arcboute, contre-attaque, et balance à son tour un enchaînement, droite, droite gauche, uppercut. Le jeu de Démosthènes est un peu raide, alors que son adversaire esquive en souplesse, pivote habilement sur ses jambes, semble un peu se jouer de lui, et Démosthènes le boxeur encaisse, riposte, cogne dur, presque «pro» de la boxe, plus en force qu’en tactique.

Aux points, petit avantage pour son adversaire, mais tout de même de la vraie boxe, dans une galerie du Marais, une boxe authentique, avec arcade sourcilière ensanglantée, crampe à l’estomac, et du blanc aux commissures des lèvres. Duchamp avait préféré se consacrer aux échecs, comme forme d’art, de performance, une pratique qui se réalisait dans la durée, une activité de combat, certes, mais calme, posée. C’est normal, Duchamp n’avait pas la carrure de Démosthènes, Démosthènes pratique donc la boxe, un art de stratégie, d’observation, les poings du boxeur sont les pions du joueur d’échec, et disons que le KO au tapis est l’équivalent de l’échec mat. Marcel contre Démosthènes, Démosthènes contre Marcel, belle affiche : une chose est sûre, l’un et l’autre mènent un même combat pour élargir le champs de l’art à celui de la vie envisagée comme sport de combat. Démosthènes n’a pas toujours été boxeur. Il fut un temps où il interviewait les stars de l’art contemporain. Un carnet d’adresse d’enfer : ses amis s’appellent Andy Warhol, Joseph Beuys, Cy Twombly, Basquiat. De ses entretiens, publiés d’abord au journal Libération, il en sortira un livre bien connu publié aux Éditions «Au Même Titre». Mais il va y avoir la métamorphose. Car le critique d’art se révèle tel qu’en lui-même il a toujours été : un artiste qui mène une démarche cohérente. Démosthènes entame des performances où il récite ses poésies entourées de filles-fleurs dénudées, ce qui donne une atmosphère étrange où l’érotisme devient mysticisme.

Puis il y a la série des toiles au chromatisme acide, aux formes sinueuses, où éclate un expressionnisme voluptueux. Car c’est l’amour qu’exalte l’artiste à travers ses toiles limpides, aux formes délimitées, où les mots dansent entre les couleurs, où les corps enlacés se livrent à un ballet infernal, digne des déités de l’Olympe. La vie est une écriture. L’art est une écriture, et c’est dans la grande lignée de « l’ut pictura poesis », que s’inscrit l’œuvre de Démosthènes.

Enserrer le monde dans un linceul de poésie, telle est sa vocation. Renouer le réel avec le logos primordial, celui inventé par la philosophie grecque, lieu où le vrai et le beau se confondent et où la plasticité du corps précède la pertinence du discours sous les auspices du dieu Eros. Démosthènes le grec, Démosthènes la brute, Démosthènes l’aède, est un Zeus qui, pour séduire son public, se métamorphose sans cesse: en taureau combattant lorsqu’il boxe, en cygne lorsqu’il se fait artiste, en aigle, cet albatros des montagnes, lorsqu’il écrit des poésies qui sonnent comme un chant de la terre.
Thierry Laurent
mis en ligne le 19/08/2006
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