DVD

La rumeur
par Guillaume Boisdehoux


Mais la société distribuant ces chefs d’œuvre en France n’est pas digne de cet honneur. Vous savez, c’est la société qui vendait de lUne rumeur a circulé au sein de la rédaction de Verso, et souvent avec l’évocation d’un complot me liant à mes camarades Conti et Simon. Un soupçon d’anti-américanisme, de ma part et celles de mes « complices », serait décelable dans nos articles. Je tiens, pour cette livraison de la chronique DVD de Verso Arts et Lettres, à préciser, et dès l’introduction, qu’une telle rumeur est totalement infondée. Il n’y a, chez moi et je laisse à mes supposés complices le soin de répondre en leur âme et conscience, aucun soupçon d’anti-américanisme.
Et plutôt que de répondre à ces accusations, je renvoie le lecteur de ces lignes à quelques productions audiovisuelles qui, en cette seconde partie de l’année de l’élection (est-ce vraiment le terme à employer ?) américaine, montrent bien mieux que j’ai été injustement accusé de le faire, ce qu’est l’Amérique, soyons précis, les États-Unis d’Amérique du Nord, soyons plus précis, l’administration Bush Junior, (le 43e Président), l’administration Bush Senior, (le 41e Président), la presse américaine, le lobby militaro-industriel américain, et des entreprises telles que Mac Donald’s, Disney et Coca-Cola, sans parler de Carlyle, le célèbre fonds d’investissement dirigé par un certain Carlucci, ça ne s’invente pas.
Que vaut mon opinion, ou la rumeur d’icelle, face à la parole et l’image de Michael Moore dans son Fahrenheit 9/11, du réalisateur de Super Size Me, dont j’ai oublié le nom mais peu importe, on a assez lu sur ce film sans avoir besoin d’aller le voir, et de William Karel, auteur de Le Monde Selon Bush, que Montparnasse Vidéo vient de sortir en DVD ?


Le Monde Selon Bush
William Karel
Montparnasse Vidéo
Je n’ai pas souvenir d’être resté la bouche ouverte pendant 93 minutes et c’est ce qui vient de se passer. J’ai découvert ce film en DVD, et c’est mieux qu’à la télé parce que je peux revenir en arrière et m’assurer de ce que j’ai vu et entendu. Les intervenants sont Norman Mailer dont j’avais prédit qu’il serait un écrivain reconnu, un ancien ambassadeur américain, des anciens membres de la CIA, des historiens, un professeur de Harvard, Stanley Hoffmann. Le constat est effrayant, au sens propre du terme. Je sors de ce film effrayé par le danger que représente ce clown triste à la tête du plus puissant pays du monde.
G.W. Bush est soit un pantin, manipulé par l’aile la plus extrême de l’extrême droite dite « chrétienne », des affairistes qui viennent de quitter la direction des plus grosses entreprises du pays, soit le digne successeur, dans une famille à côté de laquelle celle, mythique, de Don Corleone dans Le Parrain ressemble aux Dugenoux d’en face, de certains des plus grands escrocs que la terre ait portés. Les révélations sur le passé de banquier des nazis du grand père de 43e, le père de 41e, les histoires de pétrole, d’armes, de liens avec la famille régnante en Arabie Saoudite, les mensonges orchestrés, à la manière de ceux de Goebbels (c’est un professeur de Harvard qui le dit), pour devenir, à force de répétition, des vérités, la tentation fasciste affichée par les plans Ashcroft, quelle horreur !
Certes, on sait que le père de Kennedy, ambassadeur à Londres et gros actionnaire de IG Farben, avait recommandé de ne pas bombarder les usines de Zykon B ni les voies de chemin de fer qui menaient aux camps à la main d’œuvre bon marché. L’on se souvient de l’achat, par les Kennedy, des voies de la Virginie à la Mafia pour une élection serrée, de Nixon, « Tricky Dicky », (Richard le Tricheur), ancien membre actif de la Commission McCarthy, mais les Bush atteignent le sommet du cynisme, de l’ignominie, de la prévarication. Comme le dit un des anciens CIA du film, avec Saddam, c’était « bad », ce sera pire. Et même si on savait tout ça, même si la lecture attentive de plusieurs quotidiens, la réflexion, une relative connaissance de l’histoire et de la géopolitique ont existé, ce film est un choc.
Les images et notes, pas forcément aussi harmonieuses que celles des années 60 contre le Vietnam donnent un peu d’espoir à la fin du film : une manifestation comme celles de cette époque, de cette Amérique qui m’avait fait croire, la France vivant sous Marcellin et ses CRS massés tous les jours rive gauche, la radio étant un monopole d’État, qu’une démocratie existait outre-Atlantique. J’y avais cru. Si Bush est réélu, il ne faudra pas être surpris si ce pays bascule. « Le fascisme n’est qu’une détérioration de la démocratie. » (N. Mailer)


War Photographer
Christian Frei
Montparnasse Vidéo
Il m’a paru judicieux, recevant ce DVD, d’inviter mon collègue et ami Conti, expert en photographie, à le voir, le sujet relevant plus de sa compétence. C’est en partageant un grand verre d’eau, avec chacun sa paille, les temps sont durs, que nous avons donc regardé ce documentaire sur la vie d’un photographe de guerre, comme le nom du film l’indique. Pour Conti, le problème du photographe de guerre contemporain vient de l’existence, passée hélas, de ses maîtres, en particulier W. Eugene Smith, qui ne fut pas SEULEMENT photographe de guerre, Capa et Larry Burrows qui revint du Vietnam dans un des ces « body-bags » qu’il avait photographiés. Le premier avait été blessé parce qu’il voulait être près des explosions dans le Pacifique, Capa était mort sur une mine en Indochine, avant que cette contrée devienne le Vietnam. Il disait, je l’ai appris à l’issue de cette projection lors d’un fructueux dialogue avec mon collègue, toujours qu’il faut s’approcher au maximum de l’action, qu’on est jamais assez près quand on photographie la guerre. Et James Natchway dans tout cela ? Il semble loin de l’action, même s’il pense en être très près. Est-ce son ton, l’utilisation « artistique » des photos qu’il a faites, alors qu’en la matière, la photo de guerre, Conti pense qu’on « prend » plus une photo qu’on ne la « fait », le résultat est froid, clinique, et il semble que ce photographe « fasse un boulot » et un boulot qui paye bien. L’affiche le montre dans une position très élégante, pli du pantalon impeccable, souliers noirs bien cirés, assis en face d’un jeune homme armé qui semble chercher à éviter la prochaine praline qui passerait par sa tête, sans casque. L’atelier du photographe, alors que Capa, me dit Conti, envoyait ses pelloches au labo, quitte à ce qu’elles soient sabotées, comme ce fut le cas de celles du débarquement en Normandie, est cliniquement propre. Il gère ses photos, et il semble qu’aucun mort qu’il ait pu photographier ait laissé une impression sur le bonhomme. L’objectif aurait-il été transparent ? Conti me parle de Don McCullin, autre grand photographe de guerre dont l’engagement a été tel qu’il a dû arrêter et faire des magnifiques photos de paysages. On doute que Natchway ressente ça. Mais la mort qu’il semble ignorer chez ses sujets pourrait le rattraper un jour. On ne lui souhaite pas, d’une part, on doute que cela lui arrive, d’autre part. Le DVD est très bien fait, et si je n’avais pas vu le film et n’étais pas ami avec Conti, alors il faut le voir pour comprendre que la guerre, ce n’est pas une abstraction, mais une saloperie.


Les Sentiments
Réalisateur Noémie Lvovsky, Éditeur : ARP Sélection, Distributeur TF1 Vidéo Avec N. Baye, R. Bacri, V. Carré et M. Poupaud
S’il convient ici de ne pas crier au chef d’œuvre, comment alors qualifier un film qui, visionné en fin de journée caniculaire, après plusieurs heures de projection et quand le sommeil gagne l’honnête travailleur de la critique, épuisé sur son canapé – qui pense, aux conditions de travail des critiques de DVD, à l’usure du pouce sur la télécommande ? - qui signe ces modestes lignes, alors qu’on en a marre, un film donc qui fait rire et émeut jusqu’au bout ? Comment faut-il le qualifier ? C’est à vous que je pose la question ! Répondez ! Un bon film. Et un bon film, c’est, finalement, rare, sinon très rare.
Il y a ceux qui considèrent que, puisqu’un film est français, il sera mauvais. À moins de deux tiers d’effets spéciaux, de 12 hectolitres d’hémoglobine à la minute, si son scénario fait (au moins un peu) réfléchir et s’il ne fait pas 134 millions d’entrées dans LA salle du Grand-Duché du Luxembourg le week-end de sa sortie (je blague, je crois qu’il y a deux salles là-bas, mais la plus grande est à cheval sur la Belgique), alors il est mauvais. Ce sont les mêmes qui, tous les mercredis, se précipitent pour voir le dernier navet hollywoodien (les deux derniers mots ne constituant pas forcément un pléonasme) parce qu’ils ne sauraient être pris en flagrant délit de ne pas l’avoir vu avant les autres, ceux qui pensent que de toute façon, c’est mieux ailleurs. Et bien, à ceux-là, je leur dis… (non, je ne serai pas grossier ici, merde !), je leur dis d’aller voir ce type de film, qui se passe d’hémoglobine et de poursuites de voitures, qui est construit en restant frais, qui offre une Nième (mais en aurons-nous jamais assez ?) réflexion sur la vie, l’amour, ce qui compte finalement, tout ce qui compte. Bien entendu, il faut accepter de réfléchir, ce que « ceux dont au sujet duquel que je causais plus haut » ne font plus. Tant pis pour eux. Mais c’est à vous, lecteur adoré (et abonné payant j’espère) de VERSO ARTS ET LETTRES que je m’adresse, pas à eux ! À propos, me demanderez-vous, c’est quoi l’histoire ? Bon, y’a deux couples, un qu’est plus jeune que l’autre et y’a le mec du moins jeune couple, le vieux quoi, qui flashe pour la meuf du plus jeune. C’est tout. Ça fait mal, à tout le monde finalement.


Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran
Réalisateur : François Dupeyron, ARP/ TF1 Vidéo
Une personne ne m’aurait laissé aucun souvenir si elle ne m’avait prêté le délicieux livre de E.-E. Schmitt. C’est ça la vie et la littérature ! Le film est aussi délicieux que le livre, et je n’aime pas les « adaptations ». Maintenant, il y a les « novélisations » à partir du film.
Une belle histoire, pleine d’émotion, de finesse, pas à l’eau de rose, un jeu extraordinaire du vieil Omar Sharif, une belle plongée dans une époque, pas si lointaine, pendant laquelle les rapports humains semblaient, mais c’est sûrement de la nostalgie, moins brutaux. En tous les cas, on pouvait aller aux putes sans craindre Sarko et sans capote !


H2F (Hachette Filipacchi Films)
Entre 1959 et 1972, treize ans, un petit groupe de musiciens, dans un « petit studio », celui de Motown, (MOtor TOwn, Detroit, ville des bagnoles et moteurs), a joué dans plus de # 1 au hit-parade de Billboard que les Beach Boys, les Beatles, Les Rolling Stones et Elvis Presley RÉUNIS. Et le tout grâce aux chanteurs, certes, mais aussi et surtout à ces musiciens qui se sont eux-mêmes appelé, parce que leurs noms n’étaient pas sur les pochettes de disques, The Funk Brothers. Inutile de chercher à traduire « Funk », encore un de ces mots argotiques noirs qui veut dire ce qu’il donne comme son, « it means what it sounds like ».
Ils venaient, pour la plupart, du jazz et du blues. Pour ceux qui ne connaissent pas la différence, sachez qu’un grand morceau de blues se joue sur trois accords alors qu’en jazz, il est mal vu de ne pas changer d’accord à chaque note. Mais les racines sont celles du Sud, de l’esclavage et de l’apartheid, et plus loin, de Bongo Square à la Nouvelle-Orléans et plus loin encore au fond de l’Afrique. À Detroit, il y a du boulot après la guerre, faire des voitures à la chaîne, de ces monstres de métal qui font encore rêver ceux qui ne les ont jamais conduites et cauchemarder ceux qui les ont construites, ces musiciens en particulier. Population noire, sous-prolétaire, et cette musique qui va changer l’oreille du monde, qui va être reprise par les plus connus sans que jamais ses créateurs en soient même reconnus comme tels. Il faut voir jouer Joe Messina, alors qu’il n’a pas encore quitté les jazzmen, pour mesurer la qualité de ces « requins » de studio, les deux batteurs, joyeux pépés de près de 80 ans qui, lors d’un concert mémorial de novembre 2002, frappent leurs peaux et cuivres en même temps avec une précision inégalée dans aucun orchestre. Quel bonheur ! Mais quelle horreur que ce système qui, alors que les « pistons de la machine » donnaient 14 heures par jour de leur talent pour alimenter le compte en banque de Berry Gordy, le patron de Motown, celui-ci ne prévient même pas ses musiciens qui apprennent, par une affiche à la porte du studio : « Pas d’enregistrement aujourd’hui. Motown a déménagé à Los Angeles. »
La séquence finale lors de laquelle une masse de choristes reprend le thème, rappelant que cette musique vient bien des églises du Sud, du Gospel. Bouleversant.
Pour ne pas sombrer dans la rage, écoutons, réécoutons « Reach Out, I’ll Be There », « Ain’t too Proud To Beg », « I Heard It Through The Grapevine », « Cool Jerk », « What’s Going On », avec les Four Tops, les Supremes, les Temptations, Marvin Gaye, ces stars. Avertissement : ce film peut provoquer une dépendance, je l’ai vu cinq fois en quatre jours et je me suis retenu afin de rendre ma copie.
« Ils avaient le talent, nous l’expérience, dit un de ces « Funk Brothers », c’est-à-dire :
Jack Ashford, Percussions, Bob Babbit, basse, Joe Hunter, claviers, Uriel Jones, batterie, Joe Messina, guitare rythmique, Eddie Willis, guitare, Richard « Pistol » Allen, batterie, William « Papazita » Benjamin, batterie, Eddie Brown, Percussions, Johnny Griffith, claviers, James « Igor » Jamerson, basse, Earl « Chunkkofunk » Van Dyke, claviers, Roger White, guitare. Voilà. Que leur « crédit » ici imprimé soit un humble hommage, même si le tirage de VERSO ARTS ET LETTRES n’atteint pas tout à fait la somme cumulée des exemplaires des disques qu’ils ont faits sans qu’ils y soient crédités, sauf à la fin, sur un ou deux albums, mais c’était fini. Parmi ces musiciens magnifiques cités ici, certains sont morts, ils ont rejoint le paradis des musicos, mais je ne les cite pas parce qu’ils vivront toujours. Thanks guys !


Collection A Mi-Mots
MK2 Éditions
L’idée est belle est simple : offrir dans le même emballage une émission de Arte, des extraits non-diffusés de ladite émission, un supplément pour les deux autres titres de la série, ceci sur support image, donc un DVD, et un roman de l’auteur sujet de l’émission. Ayant obtenu les DVD de test, avant les coffrets définitifs, pour cette critique, et j’en remercie le service presse de MK2 Éditions, je n’ai pu juger de l’ensemble du « produit », mais « seulement » regarder le DVD. Comme toujours chez MK2, une parfaite réalisation, une qualité d’image et de mise en place très ergonomique et il reste… les sujets.
Je ne connaissais pas Pascal Quignard, ne lisant pas les auteurs dont on parle trop, un peu seulement Erri De Lucca et encore moins Edna O’Brien. Ici se pose la question : faut-il connaître ne serait-ce que le visage d’un artiste ? Son œuvre ne devraitelle pas suffire ? Si la réponse à la seconde question était positive, c’en serait alors fini des portraits de 4° de couverture, des émissions dites « littéraires » lors desquelles l’écrivain doit « bien passer », être bien maquillé et ne pas bafouiller (cf. Modiano), pour continuer à vendre ! Serait-ce un mal de ne plus jamais voir leurs têtes, de ne pas savoir s’ils sont petits ou grands, beaux ou laids, s’ils couchent et avec qui ? Non, ce ne serait pas un mal, mais c’est une illusion, ce sera pire et l’on entendra de plus en plus de cons dire : « je n’ai pas lu cet auteur mais il n’a pas l’air sympa ! ». Il fallait, si je suis logique, seulement lire leurs livres. J’ai écouté l’un des trois de la série sans image, c’est celui que j’ai trouvé le plus intéressant des trois. Je ne dis pas duquel il s’agit.


Coffrets Jacques Doillon
MK2 Éditions
Enfance 4-11 ans :
Ponette - 1996
Un Sac de Billes - 1975
La Drôlesse - 1979
La Vie de Famille - 1985
Enfance 12-18 ans :
Petits Frères - 1999
Le Jeune Werther - 1993
Le Petit Criminel - 1990
La Fille de 15 Ans - 1989
Les Doigts dans la Tête - 1974
Comment ai-je pu faire l’impasse totale sur ce cinéaste ? Manque de temps, temps perdu, tête ailleurs à l’époque ? Je ne sais pas. Mais en regardant, avec émotion, quatre de ces films, j’ai réalisé que j’avais beaucoup perdu à ne pas les voir lors de leur sortie. Je ne vais pas faire la critique de ce grand cinéaste, ça ne se fait pas. J’aimerais donner envie de partager l’émotion intense ressentie en regardant Ponette, le plus fort des quatre reçus peut-être, et Drôlesse aussi et les deux autres, Le Jeune Werther et Petits Frères. Quelle finesse, quelle justesse de ton et quel respect de l’autre, l’acteur, la personne SOUS le personnage chez ce cinéaste. Pas une fausse note dans le jeu d’enfants dont on apprend, au générique de fin, qu’ils ont été assistés d’un psychologue pendant le tournage, parce que ce n’est pas facile de « jouer le rôle » d’une gamine de 5 ans qui a perdu sa mère dans un accident de voiture. C’est merveilleux, plein de fraîcheur sans pour autant rien enlever à la réalité de la vie, son côté tragique qui, dès qu’on essaie de l’oublier, vous saute à la gueule. Tiens, je viens de comprendre pourquoi je n’ai pas regardé Doillon avant : il était devenu le compagnon de Jane Birkin, dont j’étais amoureux, et j’en fus fort jaloux !


Coffret Werner Herzog
Editeur : Gaumont-Columbia-Tristar-Home-Video
Fitzcarraldo
Signes de Vie
Woyzeck
Les Nains Aussi Commencent Petits
L’Enigme de Kaspar Houser
Ignorer Werner Herzog ne fait pas partie de mes nombreuses lacunes, d’autant que Klaus Kinski était un des deux ou trois plus formidables acteurs que je connaisse. Je ne compte pas l’immense Jean Lefebvre, disparu récemment, dans cette liste. Herzog fait partie de cette courageuse génération des cinéastes de l’Allemagne d’après-guerre, avec Fassbinder et d’autres, j’ai oublié, il fait chaud, qui ont su en dépit de l’immense culpabilité de ce pays après les joyeusetés auxquelles il s’était livré entre 1933 et 1945, essayer, c’était dur, de recommencer à créer. Quand on sait combien il est difficile de créer à partir du néant, imaginons ce qu’a pu être la création à partir du nazisme !
Des films de ce coffret, mon préféré est Fitzcarraldo, pour sa qualité esthétique, la performance de Kinski et l’analogie entre l’histoire et le tournage du film. Un délire, celui de réunir deux affluents de l’Amazonie (fleuve d’Amérique du Sud à un seul sein) en faisant passer un bateau (et pas un canoë) au-dessus de la montagne qui sépare les deux voies d’eau, se confronte à un autre délire, celui de tourner le fil qui en raconte l’histoire. Le bonus du film, aussi long et passionnant que le film, est magnifique. Herzog s’est battu contre tout, les éléments, peu cléments dans la région, les autorités, les acteurs, les financiers. Ce film est un défi et un pari irréalisable, mais réalisé. Le baroque de Manaus et de sa richesse (le terrain y valait plus cher qu’à New York en ce temps), la profondeur de la jungle (impénétrable est l’adjectif automatiquement accolé, vous savez), la beauté de Claudia Cardinale en tenancière d’un bordel où l’on finirait bien ses jours après avoir cotisé, les personnages « secondaires », magnifiques de soutien à celui de Kinski, tout cela fait un film inoubliable, un des 10 qu’on a envie d’emporter sur la fameuse île déserte où il n’y a pas d’électricité pour le projeter, mais ce n’est pas grave, c’est une image, comme celle du bateau qui, au sommet de la montagne, bascule tout doucement vers l’autre rivière !
Ne pas ignorer, bien entendu, les autres, avec des boni (pluriel de bonus, bande d’ignares) aussi intéressants. Un maître du cinéma, cet Herzog. On lui pardonne d’être né outre-Rhin.


Gatsby Le Magnifique (The Great Gatsby)
Réalisateur : Jack Clayton - 1974
Comment vieillit un film qui a fait rêver le monde entier, TRENTE ANS (aie aie aie) après ? Bien, pas de problème, et si ce n’est pas un « grand classique », si les ficelles commerciales sont plus visibles aujourd’hui, prenons-les avec humour, it’s show-business, destiné à faire rêver les midinettes et à amasser le maximum de fric pour payer les plus grandes stars de l’époque (magnifiques Redford et Farrow),


Depuis qu’Otar est parti
Réal. : Julie Bertuccelli, Montparnasse Vidéo
Comment « classer » un tel film ? Film d’auteur, film intimiste, premier film ? Peu importe et fi des classements. Un régal, une sensibilité rare, des images simples et belles, pas de complaisance, tout ceci est inhabituel, il faut donc le saluer. L’histoire est celle d’un exil, celui d’un jeune homme qui quitte son pays très pauvre pour aller travailler dans un pays riche, le nôtre, la France. Il part, il laisse sa famille, et il écrit des lettres qui sont le seul réconfort de sa mère. Mais est-ce lui qui écrit ? Sa mère part lui rendre visite quand les lettres se font plus rares. Pas de mouchoirs à sortir, mais une émotion permanente, de grande qualité. Ne pas manquer, vraiment, cette perle.


La Bataille du Chili
Patricio Guzman, Éditions Montparnasse
Je renvoie au début de cette chronique sur la rumeur d’antiaméricanisme… Nixon et Kissinger n’ont pas appuyé en même temps sur la gâchette du lance-roquettes du chasseur qui a bombardé la Moneda. J’en ai la preuve, cette gâchette ne peut être actionnée que d’un seul pouce. D’autre part, ils ont, l’un et l’autre, des alibis. Kissinger jouait au cow-boy au Vietnam et Nixon à cache-cache dans un immeuble de Washington, le Watergate. Nous voilà fixés.
Trente ans après, le dégoût, la honte, la nausée sont toujours là au visionnage de ces heures terribles. La droite est aussi ignoble qu’elle peut l’être (ces propos n’engagent que le rédacteur de cette chronique et en aucun cas le reste de la rédaction ou la revue) quand elle est soumise à une propagande type « les chars russes à Brest ». Tous les moyens sont bons pour couler un pays qui veut, il l’a prouvé par des élections tenues démocratiquement et malgré les efforts de ladite droite appuyée par la C.I.A. les grèves de la production du patronat, pour ruiner l’économie, les provocations des nervis fascistes, les coups d’essai vers le coup d’état. Et l’on sait maintenant que « Saint-Pinochet », protégé de Thatcher (of course !) le patron des putschistes, a aussi détourné quelques pesos (c’est ça la devise du Chili, mon cher rédac’chef ?), dans des banques nord-américaines. C’est beau la promotion de la démocratie pour ITT et les autres ! Tiens c’est des trucs comme ça qui me feraient pencher à gauche, peut-être…
À voir, indispensable ouvrage d’histoire, que ceci ne se reproduise jamais ! (vœu pieux, merde alors, qui sont les prochains ? heureusement qu’il n’y a pas de pays producteur de sirop de coca-cola, vous imaginez s’ils doublaient le prix du sirop, ou nationalisaient les plantations de bouteilles et de canettes !?)


Moi, Fidel Castro Entretiens avec Ignacio Ramonet
Éditions Montparnasse
Voulant absolument partager ce visionnage avec mon éminent confrère et ami Humbert Fusco-Vigné, auteur de la chronique « Livres Politiques » à Verso, je nous réserve la critique de ce monument (5 heures je crois) pour la prochaine livraison de la revue, puisque nous ne pourrons être réunis avant la remise de cet article. Je vous communiquerai alors les réactions qui seront les nôtres lorsque, dans les conditions effroyables qui présideront à ce labeur, dans un des châteaux de la Revue, au sein du complexe audiovisuel dernier cri et au bord de la piscine couverte, avec nos grands crus en main, nous aurons pris sur notre temps de sommeil pour votre éducation. En attendant, il paraît que Castro, à qui l’on avait récemment offert un très belle petite tortue, demanda à ses invités la raison de ce cadeau. « Camarade Fidel, ce n’est rien. Un petit cadeau. Cette tortue est une tortue géante. » - Ah bon ! C’est gentil. « Oui, Camarade Fidel, elle vit plus de 150 ans et elle aura atteint sa taille maximale dans 10 ans ? » - Non, Camarades, je ne peux pas accepter ce cadeau ! « Mais, Camarade Fidel, ce n’est rien, nous en avons trop de ces tortues chez nous, tu sais bien. » - Oui, mais, vous le savez, vous, je suis très sensible, beaucoup plus que ces cochons de capitalistes impérialistes veulent le faire croire. « Oui, et alors, Camarade Fidel ? » - Et bien, mes amis, vous savez que je serai très triste quand elle mourra. C’était pour vous arracher un sourire, vous en faites une de ces têtes !


Guillaume Boisdehoux
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