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Editorial
Lettre ouverte à S.E. le cardinal André Vingt-Trois, Archevêque de Paris
par Jean-Luc Chalumeau

À propos de la première exposition du Collège des Bernardins

Eminence,

Dans l’espace même où le pape Benoît XVI s’exprimait devant sept cents personnalités parisiennes il y a quelques mois, le Collège des Bernardins présentait ces derniers temps une exposition conçue par Claudio Parmiggiani. La presse a abondamment parlé de ces structures de verre brisées et de cette accumulation de cloches à l’abandon, tristement blotties dans l’ancienne sacristie. Souvent séduite, elle a estimé avec raison que l’ensemble ne manque pas d’allure : voici une double installation qui saisit le visiteur, même s’il ne comprend pas vraiment ce dont il s’agit (le livre d’or en témoigne : 50% de témoignages d’admiration pour le lieu – non pour l’oeuvre, 50% de protestations du genre : « à quoi bon chercher à épater le bourgeois ? »). En fait, de quoi est-il question ?

arthur aeschbacherVous avez fait appel à madame Catherine Grenier en qualité de commissaire, qui a elle-même invité un artiste pour un projet parfaitement conforme à ce que cette spécialiste réputée pense de la place de la religion chrétienne dans notre monde. Je la cite, d’après mes notes prises au cours d’une conférence donnée par elle dans l’auditorium du Centre Pompidou : « L’art contemporain se recharge grâce à la religion chrétienne alors qu’elle est évacuée de la scène sociale car elle est devenue obsolète ». En exergue de sa conférence, elle avait fait projeter une vidéo de Peter Land se représentant, en boucle, en train de tomber indéfiniment du haut d’un escalier. « Il s’agit d’une chute, expliquait madame Grenier, et effectivement le christianisme est l’histoire d’une chute ». Elle ajoutait que lorsque Maurizio Cattelan représente Jean-Paul II grimaçant, renversé par une météorite, il s’agit d’une figure christique réduite à un état dérisoire, une « réflexion sur la religion, mettant en scène la silhouette déchue du Père ». Nous y voilà : le catholicisme, tout comme son chef, sont des « figures déchues », et Parmiggiani, en rassemblant ces symboles de l’Église d’autrefois que sont les cloches (dont il dit gentiment avoir la nostalgie) nous parle lui aussi d’une chute, d’une déchéance. Les morceaux de verre qui jonchent le sol des Bernardins seraient, de leur côté, issus d’une réflexion sur un tableau de Caspar-David Friedrich, Naufrage de l’Espoir. Le bateau l’Espoir s’était trouvé pris par les glaces, que représenteraient donc les verres brisés ? Ou bien faut-il craindre qu’en ce lieu l’on nous parle d’un naufrage, donné comme a priori, celui du christianisme ? Je sais bien : en 1920 déjà, Jacques Maritain publiait Art et Scholastique. Il y demandait aux artistes « de ne rechercher aucune règle, aucune technique, aucun style spécifiquement chrétien » (on a vu, avec l’art dit de Saint-Sulpice, où cela pouvait mener). Maritain proposait « de ne pas dissocier l’art chrétien du grand mouvement de l’art contemporain ». Autrement dit, il défendait il y a presque un siècle la modernité contre l’opposition instinctive des milieux catholiques, alors généralement politiquement conservateurs et esthétiquement rétrogrades. « À ne pas participer à l’art de son temps, dira après lui le Père Couturier, on se coupe, on se retire de la vie. »

Eminence, permettez à un catholique, critique d’art de surcroît, de vous dire avec tristesse que l’Eglise se fourvoie quand elle fait appel, croyant ne pas se dissocier de l’art de son temps, à ceux qui voient en elle une « structure obsolète » et l’invitent à valoriser, dans ses lieux les plus prestigieux, des artistes qui la considèrent comme morte. Elle n’a pas davantage raison, certes, quand elle fait appel aux « médiocres plus ou moins spécialisés » que vomissait le Père Couturier (il pensait aux braves gens bardés de bonnes intentions, fabricants d’art dit par eux « sacré »). Il n’y avait qu’une solution à ses yeux : « l’Eglise, disait-il, aura retrouvé le sens de la grandeur quand elle aura retrouvé l’habitude de s’adresser aux plus grands ». Peut-être, après tout, le Père Couturier se serait-il adressé de nos jours, lui aussi, à Claudio Parmiggiani (j’en doute), mais il aurait alors participé à l’élaboration du projet et aurait fait en sorte qu’il soit, pour le moins, dépourvu d’ambiguïté. Ainsi faisait-il avec ses amis Braque, Léger, Matisse et Picasso… Ceux qui croient en Christ, fondateur de l’Eglise, la savent éternelle. Ils n’ont que faire des divagations de ceux qui la veulent disparue. Croyez, Eminence, en l’expression de mes sentiments respectueux et filiaux.

Jean-Luc Chalumeau
Directeur de la revue Verso Arts et Lettres
mis en ligne le 10/03/2009
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