Dossier Gérard Guyomard

Guyomard. 40 ans de peinture
par Lydwine Saulnier-Pernuit
Sens, Palais synodal, 20 juin – 26 septembre 2004


Exposer Gérard Guyomard à Sens dans le Palais synodal pouvait paraître tenir de la gageure ! On connaît bien dans la région sa silhouette petite et svelte, son visage rieur encadré par une barbe de père Noël, sa voix puissante et son rire éclatant. C’est un familier du Sénonais, où il vient "à la campagne", dans son atelier de Pont-sur-Vanne, fréquentant les manifestations artistiques, dans un réseau d’amitiés fortes.

Il n’est pas le premier à exposer son travail sous ces voûtes. Dmitrienko en 1997, Gillet en 1999, Michel Potage en 2001, dans des genres très différents, l’ont précédé. Mais Gérard Guyomard est un illustre représentant de la figuration narrative, et son œuvre originale, puisant ses thèmes dans l’esprit anarchique, reste provocante, surtout à l’échelle d’une ville de province, aussi provocante que celle de son comparse Pancino, qui l’a devancé dans le même lieu, pour marquer l’an 2000.

Le Palais synodal, imposante construction du XIIIe siècle, mitoyenne de la cathédrale et du palais des archevêques, était investi par Gérard Guyomard l’été dernier. Quarante ans de peinture, et l’esprit d’une rétrospective sur les deux niveaux d’exposition, dans un déroulement impressionnant.

Au rez-de-chaussée, sous les voûtes gothiques de la salle de l’Officialité –l’ancien tribunal ecclésiastique-, plus basses, plus intimes, étaient présentées les œuvres anciennes, entre les années 60 et 80. Les connaisseurs ont retrouvé avec plaisir (les autres ont découvert) Télé (1964), Moumoune (1964), Régilait (1965), Souvenir de neige (1965), très colorés et déjà gagnés par de petites silhouettes, souvent pressées et farfelues, période qualifiée maintenant de "figuration poétique". Il y avait bien sûr quelques éléments de la série Yapuka et Yfolfer, et cet étonnant tableau Les mouillettes (1973), où quelques lignes d’une architecture rigoureuse bleue et verte se détachent sur un fond uni d’un jaune acidulé, tandis que d’un plongeoir sautent trois nageuses aériennes (un trait rouge) coiffées d’un bonnet de bain. Les premières superpositions, qui sont une des caractéristiques du travail de Gérard Guyomard, apparaissaient déjà.
Mais surtout le regard du visiteur était attiré dès le seuil de la salle par les deux tableaux accrochés au fond dans la perspective : deux Halles rock (no 24 et 15, 1987), où les superpositions et les couleurs éclatantes se détachent avec une virtuosité remarquable sur un noir intense.

Au premier étage, l’échelle est différente ; c’est la salle synodale, aux dimensions impressionnantes, prévue pour accueillir les assemblées des hommes d’église. Sous les hautes voûtes refaites par Viollet-le-Duc, les cimaises ont permis à Gérard Guyomard de montrer les plus grandes de ses toiles (roulées bien souvent), celles qu’il peignait d’année en année toujours plus grandes, jusqu’à rencontrer d’inévitables problèmes d’accrochage : N’importe quoi (1990, largeur 5,10 m), Salut Salut (1985, largeur 4,07 m)… Dans la monumentalité des œuvres, les époques étaient mêlées, et permettaient aux visiteurs de découvrir jusqu’aux dernières créations de Guyomard, notamment De la rue Montorgueil à Ouaga n°3 (2004). Sur un vaste panneau, étaient présentés de façon assez dense les bois découpés, formes et silhouettes d’une fluidité quasi picturale, se détachant sur un fond de bois, ton sur ton, par le jeu des ombres et d’un simple filet bleu : Femme habillée descendant, Le regard du cycliste, Elle rêve, Chaussures à son pied… Enfin il y avait un clin d’œil au lieu, Rosace, c’est la vie, une composition circulaire de ces bois découpés, de trois mètres de diamètre, dont le tracé répondait aux grandes roses du remplage gothique qui ajoure le mur sud de la salle synodale.

On ne peut pas terminer l’évocation de cette exposition sénonaise sans parler de La cathédrale de Sens (2000), dont la façade, peinte à grands traits, voit sa tour nord bourgeonner curieusement de formes et de figures, tandis qu’apparaissent ça et là des titres de journaux locaux. Ce n’est pas une réminiscence de Victor Hugo, mais la réaction originale de l’artiste devant un projet, lancé il y a quelques années, de reconstruction de cette tour, démontée au XIXe siècle. Cette toile, riche en couleurs et pleine de verve, vient d’être offerte aux Musées de Sens.

Cet été, le Palais synodal a connu avec Gérard Guyomard une exubérance de couleurs, de thèmes et de formes, un plaidoyer jubilatoire pour le mouvement et la sensualité ; en somme, une peinture qui dans son élan vital effréné est un constant démenti à la grisaille du quotidien ressassé.

Lydwine Saulnier-Pernuit
Conservateur des Musées de Sens
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