Dossiet Fabrice Hybert

Un travail aux bases glissantes
par Jean-Luc Chalumeau


EA l'occasion du c'hybert rallye et de la c'hybert exposition organisés du 3 novembre au 13 janvier 2002, Fabrice Hybert était présenté en ces termes (lettres blanches surfond vert):

"Artiste de renommée internationale, Fabrice Hybert intervient dans des domaines très divers. Très présent depuis une dizaine d'années sur la scène artistique internationale, il procède par accumulations, proliférations, hybridahons et opère de constants glissements entre les domaines du dessin, de la peinture, de la sculpture, de l'installation, de la vidéo mais aussi de l'entreprise et du commerce. " Prothèse mentale qui prolonge la pensée par le corps" ou "entreprise mettant en réseau des individus, des idées et des savoir-faire " , son œuvre répond à de multiples définitions. En 1994, il crée UR (Unlimited Responsability), une société destinée à favoriser la production et les échanges de projets entre les artistes et les entreprises. Son objectif: limiter les intermédiaires, rapprocher l'acheteur du producteur, traverser les territoires... Après avoir transformé en 1995 le Musée d Art Moderne de la Ville de Paris en Hyhertmarché et installé la même année un salon de coiffure professionnel dans le forum du Centre Georges Pompidou à l'occasion de l'exposihon Féminin-Masculin (1996), il est choisi en 1997 pour représenter la France dans le cadre de la 47e Biennale de Venise, manifestation dont il remporte la plus haute distinction, le " lion d'or", après avoir transformé le pavillon français en studio d'enregistrement et de diffusion d'émissions de télévision (Eau d'or, eau dort, odor - la danse des cadreurs, Venise 1997). S'il mulhplie les projets à travers le monde, comme prochainement à Tokyo où il organise avec le Watari-Um la première édihon du c'hybert rallye, Fabrice Hybert reste très attentif à la situation française. Ainsi à la fin de l'année 2000, il a réussi àfaire de l'un des monuments les plus solennels de Paris, l'Arc de Triomphe, le lieu d'ancrage d'un portail internet. Valorisation du Web comme instrument de connaissance universelle, le site imaginé par l'arhste (www. inconnu. net) se veut une encyclopédie de l'inconnu. Inventif et curieux, Fabrice Hybert actualise et valorise le rôle de l'artiste comme réalisateur, entrepreneur et médiateur. Toujours sur plusieurs projets à la fois, il multiplie ses œuvres en rhyzome, s'inspirant ainsi de la manière dont se développent les systèmes cellulaires de nombre d'organismes vivants, systèmes de flux, irriguants, nourrissants, débordants...

Beau CV, n'est-il pas vrai? (ajoutons que EH. est né à Luçon en Vendée et a fait ses études à l'Ecole des Beaux-Arts de Nantes). On en retiendra le fait que l'artiste tient dans son œuvre, et que son oeuvre tient à lui-même. " Producteur d'art", si l'on veut, bien davantage que fabricant d'œuvres à contempler. Cet arrière petit-fils de Duchamp pourrait être aussi le petit-fils de Joseph Beuys (" Aussi vrai qu'il y a une sculpture sociale après Beuys, il y aura une (s) cul (p) ture physique après Hybert" note drôlement Guy Tortosa). Mais fils de qui? Eh bien, disons de ses parents, tout simplement, petits agriculteurs vendéens libertaires, écolos, pas du tout électeurs de M. de Villiers, à qui il doit sans doute son anticonformisme, son culot, et un humour jamais démenti.

Je me souviens que, le rencontrant il y a une dizaine d'années, je lui avais tout de suite nalvement demandé quelles étaient les bases de son travail. "Oh, elles sont glissantes" s'était-il contenté de me répondre en souriant. Il faisait évidemment allusion à son " plus grand savon du monde " de 22 tonnes qui venait de faire le tour des parkings des supermarchés Leclerc et était entré au Guinness des records. Etait-ce de l'art? La question est sans intérêt, bien entendu, puisqu'il ne s'agissait que de conquérir, sinon la célébrité, du moins une notoriété en tant qu'artiste, par n'importe quel moyen. Cette notoriété une fois acquise grâce à quelques autres inventions facétieuses (le string d'épaule, le ballon carré...) et quelques propos "théoriques" (cf 1-1 = 2, éd. Joca Seria 1992), les portes des institutions ne pouvaient que s'ouvrir toutes grandes à Fabrice Hybert. Ce qu'elles firent, depuis le CAPC de Bordeaux et le Musée du Jeu de Paume jusqu'au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris. C'était là appliquer avec virtuosité la stratégie inventée par Marcel Duchamp entre 1912 et 1917, que Thierry de Duve a baptisée la stratégie de la symétrie commanditée, pour s'assurer une position à partir de laquelle il aurait désormais le pouvoir de baptiser " art " à peu près n'importe quoi.

Avis aux jeunes ambitieux: si vous voulez devenir un artiste "de renommée internationale" (c'est-à-dire ardemment défendu par notre nationale AFAA), ayez certes du talent, ne négligez pas les relations publiques et ayez une claire conscience des caractéristiques de votre temps, mais surtout, surtout, débrouillez-vous pour être célèbre avant toute chose. Le reste vous sera donné par surcroît: un conservateur en chef des musées de France ne manquera pas de se pâmer devant vos géniales idées, par exemple, dans le cas de F H, le projet de transformer le musée en représentant du commerce. Selon cet important personnage officiel, le système Hybert"fonctionne désormais envers et malgré le marché de l'art, défie et dénie la galerie. Le musée lui-même, tel que Buren avait voulu superbement le mettre en évidence, est pris à témoin en tant qu'entreprise culturelle: son engagement réel passe par sa capacité à jouer le jeu. Le musée, somme toute, se doit d'être ici le bon représentant du commerce" (Bernard Blistène, Beaux-Arts magazine, septembre 1997).

Peut-étre Fabrice Hybert défie-t-il et dénie-t-il en effet les galeries. Toujours est- il que c'est celle d'Anne de Villepoix qu'il a élue pour nous faire part de ses dernières propositions en octobre dernier: un " spectaculaire film porno-viticole " et des " céramiques rhizomatiques et bonsaîs " à propos desqueIles un critique des Inrochuptibles a osé se demander si Fabrice Hybert n'est pas " un peu fatigué... comme installé sur ses lauriers vert fluo, il semble se contenter depuis quelques années d'une inventivité démultipliée mais ralentie, assombrie d'un soupçon de cynisme " (in supplément " Aden " du journal Le Monde).

Un soupçon seulement ? Quelques-uns ont posé la question, dont nous, qui avons décidé d'aller interroger l'artiste (nous avions lu qu'il entendait être jugé sur ses déclarations). Dans une première version de son entretien avec Thierry Laurent, il avait été question de "l'esthétique relationnelle ", courant auquel semblait incontestablernent appartenir F. H. Mais ce dernier a demandé que l'on supprime le passage. Exit l'esthétique interactive, donc. Restent des propos fidèlement retranscrits, laissés à l'appréciation des lecteurs. A lire avec précaution: les bases du travail du président-fondateur d'UR sont glissantes !
Jean-Luc Chalumeau
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