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Les artistes et les expos
Times Square à Issy-les-Moulineaux
Deuxième festival d’art numérique à ciel ouvert
Times Square à Issy-les-Moulineaux : Deuxième festival d’art numérique à ciel ouvert par Thierry Laurent
par Thierry Laurent
L’ art informatique est-il encore vraiment l’art ? La technologique n’étoufferait-elle pas cette indispensable part de poésie qui réside dans toute création ? Force est de constater que jusqu’à présent aucun progrès technique n’a véritablement fait perdre à l’art sa faculté d’enchantement. L’invention de la peinture à l’huile, plus tard de l’image photographique, du cinéma, de l’image vidéo, ont forgé des esthétiques nouvelles, qui nullement nuit à la pertinence de la création. Aujourd’hui, une nouvelle révolution est en train de s’achever, celle de l’image numérique. Une petite explication technique est sans doute utile. Jusqu’à présent, l’image résultait d’un procédé de reproduction dit « analogique », à savoir d’un report intégral d’une image sur un support, tel que toile, pellicule, cassette VHS etc. Avec la reproduction « numérique », l’image finale est obtenue par reconfiguration informatique en pixels, qui ne sont autres que des points chromatiques obtenus par le principe du passage ou du non passage de l’électron, alternance du zéro et du un, conjugué en autant de « bits » et « d’octets ». C’est dire qu’un programme informatique est en mesure de créer autant que reconfigurer en permanence l’image dont la vocation est d’être évolutive.

Gérard Guyomard, La route du rhum, 1990. 100 x 81 cm, acrylique sur toile.Or, cette progression infinie de l’image informatique peut être tributaire d’un programme permettant au spectateur - et c’est peut-être la vraie nouveauté sur le plan artistique - de participer directement à sa reconfiguration visuelle. Des caméras vidéo sont ménagées près de l’écran qui enregistre le comportement des spectateurs, lequel, encore une fois, grâce à l’ordinateur, va influer directement sur l’évolution de l’image . C’est dire que le spectateur devient co-auteur du spectacle qui lui est donné à voir. On peut parler d’une esthétique du comportement, l’art résultant non plus forcément de la seule image d’artiste, mais de la faculté de tout un chacun d’inventer un comportement susceptible de modifier l’image qui lui est proposée. Notons également que le son est susceptible d’appropriation numérique et peut se prêter aussi au libre jeu de l’interactivité. Des capteurs enregistrent les attitudes sonores des passants issues de leurs paroles, de leurs gestes, et renvoient par haut-parleur, après traitement informatique, des musiques qui évoluent au grés des passants.

On aurait pu imaginer que les dernières innovations en matière d’art numérique se déroulent à la Silicon Valley, mais ce n’est pas le cas. C’est à Issy- les- Moulineaux que le Cube, « premier espace culturel entièrement dédié à la création numérique », développe depuis une quinzaine d’année des programmes de recherche en matière d’art numérique, sous la direction artistique de Florent Aziosmanoff. Le résultat ? Le festival d’art numérique à ciel ouvert d’Issy- les- Moulineaux, dont la deuxième version vient d’avoir lieu au mois de mai.

Le printemps est propice à ce genre de démonstration, puisqu’il s’agit d’un parcours tracé en pleine ville, invitant le public à déambuler à la découverte interactive des œuvres installées dans les lieux de passage les plus fréquentés. L’art numérique se comprend comme un parcours dans le ville où tout un chacun est invité à faire évoluer les dispositifs sonores et visuels selon ses propres fantasmes comportementaux.


Un bref aperçu des œuvres.

Avec Dompteur de Nuages, Florent Trochel projette une mer de nuages à même le sol, celle-ci se reconfigurant en permanence selon les allées et venues des promeneurs qui empruntent le passage de l’Auditorium et ont l’impression de flotter dans l’espace. Un peu plus loin, place Leca, en bordure de l’Hôtel de Ville, Damaris Rish installe sur écran plasma son auto-portrait, un visage énigmatique où se succèdent toutes les émotions possibles, au grés des allées et venues des passants, manière de mettre en place une réflexion sur les incessantes altérations psychologiques que déclenche toute relation à l’autre. Avec Fantômes de Vincent Lévy, l’image du spectateur se projette en miroir sur écran plasma, mais il s’agit d’une image qui se dessine en flou, comme venant de l’au-delà, sur fond d’agglomération. De surcroît, les personnage mis en image peuvent une fois enregistrés réapparaître les jours suivant par intermittence, hantant l’écran comme des « fantômes », selon le titre même de l’œuvre. On connaît l’artiste Miguel Chevalier pour son travail de recherche élaboré en matière d’art numérique : avec Sur-Natures, l’artiste nous offre à l’emplacement du mail Raymond Menand un jardin virtuel où des plantes multicolores poussent à l’infini, de nuit comme de jour, s’inclinant de droite et de gauche au grès du passage des visiteurs. Blobmeister Millennium Bash de Thierry Bernard est situé à la sortie d’un monoprix. Sur un écran plasma bien visible s’agitent des formes alvéolaires rouges et vertes. Leur mouvement est calqué sur l’évolution en temps réel des actions du Nasdaq, ( les petites boules rouges sont les actions qui montent, les vertes, celles qui baissent), et de fait les consommateurs du magasin, acteurs de notre économie monde, influent forcément par leurs achats sur l’évolution de l’indice Nasdaq, rendue visible sur l’écran à la sortie du magasin. Avec Oiseaux de nuit, Jean-Marc Gauthier a reconstitué sur une série de trois écrans plasma le tableau d’Edward Hopper, Nigthawks, avec ses personnages solitaires dînant nuitamment dans un bar derrière une vitrine, comme s’il s’agissait d’un film. Sauf qu’ici, le spectateur devenu metteur en scène peut à l’aide de son portable modifier les angles de vision des caméras et les actions des personnages qui bougent au grés de ses indications. Avec Fictions d’Issy, Jean-Pierre Palpe nous invite sur les onze panneaux d’affichage électronique de la ville à la lecture en temps réel d’un roman évolutif à deux personnages. Comment ? Il suffit d’appeler un numéro vert et d’appuyer sur certaines touches spécifiques du clavier pour modifier le déroulement de l’histoire. Catherine Langlade est d’abord chorégraphe, et de fait elle a installé sur le parvis du Musée Français de la Carte à Jouer un écran où évoluent de petites méduses dont l’incessante agitation est déterminée par les pas de danses que les promeneurs sont invités à exécuter au rythme de la musique techno. Les Mains de Michaël Cros est l’œuvre peut-être la plus fascinante de l’exposition : sur un écran horizontal située dans l’abribus de la Place de l’Hôtel de Ville, des mains évoluent calmement comme de lents reptiles. Mais dès qu’un spectateur appose sa propre main sur une main virtuelle, cette dernière donne naissance à un bébé-main qui grandit et évolue de façon autonome. Les mains virtuelles ne sont pas éternelles, vieillissent et disparaissent inexorablement, aussi leur seule manière de se reproduire et de faire perdurer l’espèce est de nouer contact avec les mains des visiteurs. Enfin, n’oublions pas que l’informatique se prête aussi à toute forme d’environnement sonore. Roland Cahen, avec Tournez-Sons, installe le long du terminal de bus situé sur l’esplanade de l’Hôtel de Ville un dispositif grâce auquel des chuchotements et des murmures se propagent dans un circuit d’enceintes, après avoir été déclenchés par les passages réguliers des bus municipaux. Avec Square II, œuvre d’un collectif d’artistes « la Kitchen », c’est un jardin public sonore qui est aménagé, où les faits et gestes des enfants se transforment en autant de musiques étranges, loufoques, inattendues. L’œuvre la plus poétique est celle de Florent Aziosmanoff : trois robots ultra-sophistiqués en forme de chiots sont programmés pour évoluer selon le scénario du Petit Chaperon Rouge . L’un est recouvert d’une couverture rouge et figure le Petit Chaperon, l’autre, en noir, représente le loup, et le troisième, en vert incarne le chasseur. Ces trois figures évoluent de façon autonome, ignorant la foule des enfants qui les regardent médusés. Electronique et conte de fée font ici bon ménage.

La mise en place d’un festival d’art numérique à quelques pas de notre capitale est à saluer chaleureusement. Il permet non seulement aux artistes de poursuivre leurs projets dans le domaine le plus innovant de l’art contemporain, mais suscite une rencontre de l’art avec le plus grand nombre. Un art de plein air, qui cesse d’être confiné à l’intérieur de musées souvent élitistes, un art ultra-sophistiqué mais totalement poétique, qui s’expose sur les trottoirs, sur les places, qui enchante la ville et la vie : de l’oxygène au quotidien.
Thierry Laurent
mis en ligne le 28/08/2005
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