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Claude Jeanmart, entre le discible et l’indiscible
Claude Jeanmart, entre le discible et l’indiscible par Gérard-Georges Lemaire
par Gérard-Georges Lemaire

D’une certaine manière, Claude Jeanmart reprend la question de l’abstraction à un point précis où l’a laissé Vassili Kandinsky, à l’époque des Improvisations, quand il vivait à Murnau avec Gabriele Münter. Il s’intéresse à une émotion esthétique qui est l’instant où ce qui est figuré entre dans la sphère de ce qui n’est plus lisible comme représentation. Ce n’est d’ailleurs pas tant ce débat quelque peu obsolète entre figuration et abstraction qui le fascine, mais ce qui se basse lorsqu’il passe d’un monde à l’autre.

A ce point, deux précisions s’imposent.

Claude Jeanmart, entre le discible et l’indiscible par Gérard-Georges LemaireLa première est que l’artiste s’est depuis longtemps passionné par la danse. Et cet art fait surgir dans le mouvement du corps des figures qui sont de pures extrapolations. C’est très exactement ce qu’il réalise
dans le champ de la peinture. Mais il ne se sert pas de la matière pour atteindre l’idéal, qui serait une fin ou un absolu. L’idéal, qui n’est que le but assigné à sa recherche artistique, ne fait que renforcer ce que la matière suppose de force et de beauté et de mettre en évidence ce que le plus particulier possède de merveilleux et d’irremplaçable.

La seconde est qu’il a adopté pour ses toiles récentes, baptisées Pictura, un processus de création régi par des règles strictes, qui ne font que rendre systématique sa démarche antérieure : trois dessins figuratifs précèdent chacune d’elle et peuvent très bien être exposées ensemble comme faisant partie d’une seule et même histoire plastique. En sorte que les deux termes de son aventures mentales, le point de départ et le point d’arrivée, ne sont pas séparés, mais appartiennent à un processus complet qui abolit l’esquisse et l’ébauche. C’est un jeu mental et un jeu pictural, non un tâtonnement laborieux.

Nul ne sera surpris que ses tableaux donnent la sensation d’empreintes — des lacérations plus ou moins profondes ou violentes dans la surface passée à la chaux ou des traces pigmentaires. Ce sont les empreintes de ces corps qu’il prend au piège et manipule selon les fantaisies de son imagination qui pense en points, lignes et couleurs. Il découvre en palimpseste sa réalité exclusivement sensuelle au-delà de sa spécificité formelle.

Contrairement aux apparences, Claude Jeanmart n’est pas un nostalgique des grandes heures de l’avant-garde du début du XX e siècle. Il pousse son investigation dans les zones les plus novatrices de la technologie. Il a dernièrement réalisé un travail passionnant avec l’artiste catalan Jordi Cerdà, qui est un jeu de questions et de réponses : l’un envoie une composition exécutée avec les moyens infinis que permettent l’ordinateur et l’autre lui transmet une « réponse », qui est une composition incitant son correspondant à réagir et à inventer la suite de cette fiction artistique. Un peu comme un renga japonais, mais sans les mots, exclusivement avec des signes. Leurs Réflexions sur l’art sont une correspondance d’une richesse immense, qui va de la peinture anciennes aux expériences les plus récentes. Claude Jeanmart appartient à cette école fantomatique de Toulouse qui n’a pas su se constituer et qui n’en existe pas moins en dépit de son morcellement.
Gérard-Georges Lemaire
Expositions récentes :
Galerie Pierre-Michel D., Paris, octobre 2003.

Paralelismo, Jordi Cerdà/Claude Jeanmart, Fondació Caixa Vinarós, février 2003.

Parallélisme, Jordi Cerdà/Claude Jeanmart, Ombres blanches, Toulouse, septembre/octobre 2003.
mis en ligne le 26/02/2004
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