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Lecture de l'Art
Le monde sur un plateau ou
« Les Petits Hollandais »
dans « le fast food » mondial.
par Olessia Koudriavtseva

A la suite de la révolution bourgeoise qui eut lieu aux Pays- Bas au début du XVIIe siècle, les sept provinces du Nord se libérèrent de la domination espagnole et rompirent avec le féodalisme. C’est alors qu’apparut sur la carte de L’Europe, La République des Provinces-Unies qu’on appelle aujourd’hui La Hollande. L’essor économique et culturel a contribué à l’épanouissement des arts et surtout de la peinture ; dans ce petit pays où la population ne dépassait pas deux millions d’habitants. Des centaines de peintres y travaillaient et parmi eux certains devinrent des artistes renommés dans le monde.

La Hollande est devenue la république protestante qui s’est libérée du dictat de la monarchie espagnole et de la puissante église catholique. Le monde artistique a alors perdu les commandes de l’aristocratie et de l’église, mais les artistes ont découvert un marché plus large en Europe. La peinture en Hollande du XVIIe siècle est destinée « à tout le monde », à la majorité de la population, aux classes moyennes des villes et des villages, aux militaires, aux commerçants et évidemment à la nouvelle classe de riches : la bourgeoisie. Ainsi la peinture est rentrée sur le marché comme une autre marchandise.

Les artistes de tous les niveaux travaillaient pour des commandes ou proposaient des oeuvres toutes prêtes. En général, ces oeuvres étaient destinées à décorer les maisons des hollandais qui disposaient de petites pièces dont l’avantage était d’être confortable dans le climat froid et humide. Cela explique les petits formats des tableaux hollandais et c’est la raison pour laquelle les peintres de ces oeuvres portent le nom unique « des Petits Maîtres Hollandais ». Dans presque toutes les maisons hollandaises, il y avait des tableaux des « Petits Maîtres », leurs oeuvres dépassaient les frontières de La Hollande et ont été appréciées à l’étranger.

Ce marché de la peinture a créé une forte concurrence qui demandait aux artistes d’être spécialisés dans un genre de la peinture (il y avait des exceptions comme Franz Hals, Rembrandt et son école) : le portrait, le paysage, la scène de genre et la nature morte. Parmi ces genres, le portrait était considéré hiérarchiquement supérieur, puisqu’il était réservé aux « burgers », tandis que les autres genres destinés à décorer les habitations des citadins et des paysans étaient plus démocratiques. Se sont surtout la scène de genre et la nature morte qui représentent les différents aspects de la vie hollandaise : la vie quotidienne ou festive, les moeurs, les traditions, la religion, la philosophie.

La peinture hollandaise du XVIIe siècle est fortement particulière, il est impossible de la confondre avec une autre école européenne de la même époque. Déjà les oeuvres de La Renaissance du Nord montrent une autre conception et une autre philosophie que celle de La Renaissance italienne. Les théories sur la perspective, si développées en Italie ont été revues par les artistes néerlandais d’une façon particulière qui est très loin de celle de Léonard, Michel-Ange et Raphaël. L’Humanisme comme philosophie centrale de La Renaissance italienne a trouvé sa version aux Pays-Bas. Vu sa situation géographique, l’école des Pays-Bas accumule plusieurs traditions, d’ailleurs elle influe aussi sur les autres écoles nationales. On y trouve des réminiscences de l’art français présentées dans les oeuvres d’artistes qui travaillaient pour le duc de Bourgogne, et de l’art italien avec son intérêt pour l’antiquité, mais avant tout, cette école s’inspire de ses propres traditions nationales liées au Moyen-Âge. La philosophie humaniste de l’homme créateur n’a pas été forte aux Pays-Bas. Souvent on ne trouve même pas les noms d’artistes sur les peintures. L’Homme ne domine pas dans ce monde d’objets différents qui remplissent des tableaux, l’homme n’est pas présenté comme une création centrale et monumentale, libre de tous les détails supplémentaires.

Par contre, la peinture néerlandaise de la fin du XVe siècle et du début de XVIe siècle est déjà très loin du monde imaginaire du Moyen-Âge, même les personnages bibliques sont représentés dans les conditions du réalisme terrestre, de plus ils sont placés dans le réalisme du pays natal de l’artiste. De cette manière, les Saints se trouvent dans les intérieurs des maisons néerlandaises ou dans les villes, dans la nature des Pays-Bas.

L’intérêt que La Renaissance montra pour le monde réel trouva dans l’art néerlandais une expression différente de celle que nous observons dans l’art italien. Les peintres des Pays-Bas ne réalisent pas une approche scientifique et ne s’appuient pas sur les principes d’une méthode théorique : ils suivent une voie empirique. Ainsi ils ignorent les lois de la perspective, par exemple, dans le second volet du diptyque de Robert Campin de l’Ermitage « La Vierge et l’enfant devant la cheminée » (1430), le sol est fortement incliné et les figures semblent glisser vers le bas ; le bassin, la cruche et la table sur laquelle ces objets sont posés, sont représentés comme s’ils étaient vus de différents points de vue. Par contre, La Vierge, l’enfant et les objets sont présentés avec la même précision qui est devenue possible grâce à la nouvelle technique de couleurs à l’huile appliquée par les néerlandais.

Les traditions nationales, le coloris du pays sont bien démontrés dans cette oeuvre de Robert Campin : La Vierge est présentée comme une femme de type néerlandais, dans un intérieur typique de cette région, parmi les objets quotidiens. Ce n’est pas une présentation de la reine céleste mais celle d’une femme terrestre qui se trouve sur La Terre, dans une ville néerlandaise, parmi nous. Mais cet espace réellement quotidien avec des objets simples jouait un rôle important pour identifier cette dame comme La Vierge qui selon la tradition protestante est représentée sans auréole.

Marie, de la main protège son enfant de la chaleur ardente du feu ; un symbole du feu infernal. Tous les détails sont reproduits avec un soin particulier. On peut même y voir les têtes des clous plantés dans les volets en bois, sont-elles ici par hasard ou peuvent-elles rappeler les souffrances du Christ ? Le bassin, la cruche et la serviette pendue au-dessus d’eux représentent les symboles de la pureté et de la chasteté de Marie. Ils sont présentés avec un tel réalisme que nous les considérons comme des objets familiers du quotidien. A travers la fenêtre, on peut voir un paysage urbain néerlandais.

Même si la Vierge est présentée dans un palais céleste comme dans les tableaux de Rogier Van Der Weyden « St. Luc peignant le portrait de la Vierge » (XVe siècle, Musée de l’Ermitage) ou « La Vierge de chancelier Rolin » de Jan Van Eyck (1435, Musée du Louvre). La vie terrestre des Pays-Bas est toujours scrupuleusement démontrée. Tous les détails de l’entourage de Marie : les tissus, les meubles, l’architecture sont exécutés très précisément, même dans les parties les plus petites. L’Homme ou un personnage céleste et les objets sont composés sur l’espace du tableau dans un équilibre, avec une finesse et une exactitude d’exécution aussi juste pour une figure humaine que pour un objet. Pour l’artiste néerlandais, il n’y a pas de détails secondaires, tous les détails sont également importants, puisque, que ce soit un personnage humain ou un objet, se sont des créations du Dieu Créateur.

Donc un objet dans la peinture néerlandaise depuis le XVe siècle est un personnage qui est capable de s’exprimer avec la langue des symboles. La révolution bourgeoise a amené beaucoup de changements dans la mentalité, dans la culture et dans l’art des anciens Pays-Bas, mais elle ne pouvait pas changer des traditions dans les présentations de l’homme et de l’objet. Dans La Hollande du XVIIe siècle qui hérite des traditions de la peinture des Pays-Bas, la nature morte bénéficia d’une large diffusion. Les hollandais préféraient appeler ce genre « still leven » qu’on peut traduire comme « la vie tranquille ». Ce concept renonce à l’absence de vie dans les objets. Les objets sont considérés comme des êtres animés qui présentent tous les aspects de la vie en Hollande. La nature morte et la scène de genre sont un espace d’action, puisque la nature morte hollandaise n’est pas un genre sans sujet. La nature morte peut apporter une action, raconter une histoire dans une scène de genre et également dans les natures mortes et on sent la présence d’un personnage humain, on voit le sens narratif de ces oeuvres.

Dans chaque centre de la vie artistique hollandaise il y avait des spécialités, chaque artiste était spécialisé non seulement dans un genre, mais aussi dans certains sujets. On peut dire que les peintres hollandais comme les artistes orientaux avaient leur propre système de genres qui était différent du système classique. Il y avait des spécialistes des scènes de concerts, des scènes galantes, de la vie des paysans, des fêtes, de la vie quotidienne, des petits-déjeuners, de différents types de nourriture, des fruits, des fleurs, des objets, des gibiers, des poissons.

Est-ce que ces oeuvres où des objets tellement quotidiens jouent des rôles importants ont juste servi pour décorer des maisons hollandaises ? Est-ce que les hollandais voyaient une scène narrative, descriptive, évidente et simple ? Est-ce qu’ils voyaient les mêmes choses que nous voyons aujourd’hui dans ces tableaux et quel rôle en réalité jouent tous ces objets tellement nombreux ? Quel héritage les maîtres hollandais ont laissé pour les générations des futurs artistes ?

Les changements sociaux n’ont pas modifié la mentalité protestante dont le didactisme restait fort au XVIIe siècle. D’un côté, la peinture hollandaise montre toutes ces nouveautés de la vie après la révolution ; les sujets civils dominent sur les sujets religieux, mais souvent les deux se rencontrent dans un tableau. Certains sujets du folklore national apparaissent dans les tableaux de la vie contemporaine du XVIIe siècle. Pour les hollandais, il existait deux ou plusieurs sujets qu’on découvre dans leurs oeuvres. Pour dévoiler ce sens narratif, les peintres hollandais s’adressaient aux objets-symboles, tout en gardant les traditions venant de la peinture des Pays-Bas des XVXVIe siècles.

En fait, les objets qui « parlent » plus que les personnages humains se trouvent dans les scènes de genre ainsi que dans les natures mortes et dans ces deux cas, l’exactitude de l’exécution des objets est très forte. Dans les scènes de genre, les objets racontent deux histoires : une évidente et une histoire cachée. Les aspects de la vie sont bien montrés dans les tableaux. Mais pour découvrir les caractères des personnages, le début et la suite de ces histoires, il faut se plonger dans la symbolique des objets.

Les objets dans « Le concert » de Dirk Hals (1623, Musée de l’Ermitage) montrent les plaisirs de la vie, la fortune des nouveaux riches : la vaisselle en or, la fumée des herbes parfumées d’outre-mer et la carte géographique parlent d’activités commerciales. Par contre le plaisir de la musique, la jeunesse et la beauté de la chanteuse, les regards entreprenants des hommes musiciens sont temporaires comme les pétales de roses dispersées par terre. La joie, le plaisir de la vie sont fréquents dans la peinture hollandaise, les militaires n’ont jamais été présentés pendant les heures de leur service dur, ils sont toujours montrés en train de jouer aux cartes, de se reposer, de boire dans une auberge. Les cartes dispersées chaotiquement, les pipes et les verres cassés nous avertissent du danger de la vie trop festive.

Parmi les scènes du quotidien hollandais, on trouve souvent le sujet très narratif comme « Le contrat de mariage » (Jan Steen, 1668, Musée de l’Ermitage). Au premier regard tout est clair, tout est évident : les personnages assez comiques d’une famille de paysans ou de la « classe moyenne ». Tous les âges y sont représentés, chacun participe dans ce spectacle familial : les fiancés sont gênés, les parents semblent très occupés par la procédure, les proches sont considérés comme des spectateurs curieux. On y trouve toutes les expressions : les visages sérieux, étonnés, moqueurs, tristes. Mais ce sont les objets qui nous racontent beaucoup plus cet événement. On voit bien que les fiancés deviendront bientôt « les prisonniers » de l’alliance familiale comme les oiseaux dans la cage montrés dans ces tableaux. On voit non seulement leur avenir mais aussi leur passé, le prétexte de ce mariage est clair : les oeufs cassés est un symbole de l’innocence perdue de la fiancée, une palanche à coté du fiancé explique « la pénibilité » de son devoir et l’absence de sa propre volonté d’être marié.

Souvent ces scènes de la vie quotidienne sont des sujets issus du folklore populaire de ce pays, ils viennent d’anecdotes, de proverbes, de contes et de pièces jouées dans les théâtres d’amateurs.

Le grand maître de ces scènes est Jan Steen. Sur le tableau de la collection de l’Ermitage il se déguise avec sa femme Margriet en deux ivrognes (Les ivrognes, 1660, Musée de l’Ermitage). Les décorations de cette pièce montrent l’ambiance où ce couple trouve son bonheur. Tout comme ses propriétaires, les objets semblent saoulés, il n’y a pas d’ordre dans la vie de ce couple gai comme il n’y a pas d’ordre dans le placement des objets. On y trouve des aspects comiques comme, par exemple, une chaussure parmi la vaisselle, la dame qui a perdu un de ses souliers. Mais également, on voit aussi comment l’artiste prévient le spectateur de la vie gaspillée : la nappe est déchirée, le couteau risque de tomber, les pipes au sol sont cassées comme la vie de ses personnages contents de boire de la bière. Jan Steen a tenu une auberge et il était le propriétaire d’une brasserie, ainsi il connaissait la vie et les attitudes de ses clients.

Un sujet qui faisait rire le spectateur et qui en même temps était didactique pour instaurer des critères de morale est « La malade et le médecin ». Jan Steen a réalisé ce sujet plusieurs fois étant inspiré par un proverbe qu’il a noté au dos de ses tableaux : « Aucun médicament n’aidera jamais dans la question de l’amour ». Donc ce sujet est clair, et ce sont des objets qui doivent remplacer le texte placé derrière. Les objets gardent deux concepts : visuel ou évident et celui caché ou associatif. D’un côté, on voit des objets qui correspondent au sujet et de l’autre côté ce sont des symboles : deux livres cachés avec un tissu signalent des relations secrètes, l’assiette et les tasses rondes symbolisent des signes féminins, tandis que la chandelle et la cuillère sont les symboles masculins dans le tableau de l’Ermitage. Une lettre d’amour tenue dans la main de la jeune femme du tableau de l’Ancienne Pinacothèque de Munich, ou la lettre tombée par terre au pieds de « la malade » du Musée de Beaux Arts de Philadelphie sont des détails également très évoquants.

Quelle est la cause de cette maladie ? Est-ce déjà une maladie ? Personne n’est triste ici. La malade est tantôt mélancolique (Saint-Pétersbourg et Munich), tantôt étonnée (Philadelphie), ses proches sont curieux et souriants et le médecin a l’air d’être content de la légèreté de son cas. Il y a un objet qui est présenté dans le premier plan et qui est sans doute très informatif. C’est un pot en terre cuite avec du charbon à l’intérieur, cet objet se trouve souvent dans les natures mortes, il a servi pour faire chauffer, pour allumer des bougies ou pour allumer une pipe. Mais dans ce cas là on voit bien un fil qui sort de ce pot, c’était peut être un moyen (oublié aujourd’hui) pour diagnostiquer la grossesse ou une méthode gynécologique pour la thérapie de l’utérus ?(1)

Olessia Koudriavtseva

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1) Lubsen-Brandsma M.A., Jan Steen’s fire pot ; pregnancy test or gynecological terapeutic method in the 17th century ?, Ned Tijdschr Geneeskd 1997 dec. 20 ; 141 (51) :2513-7.


mis en ligne le 06/09/2008
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