Fiat lux !

"De l'ombre à la lumière,
un idéal occidental"
Bibliothèque La Part-Dieu - Lyon

Dans la Bible, Dieu fait la lumière et la lumière est Dieu. Plus tard, avec Descartes, la raison fera la lumière et la lumière sera raison. Transparente, d’une absolue simplicité, la lumière du premier jour n’existe qu’en opposition radicale aux ténèbres et au chaos primitif. D’emblée une continuité s’établit entre l’esprit et la matière, car la lumière est action, la lumière est chaleur. Il a suffi à Dieu de dire que la lumière soit et la lumière a existé. Il a fallu représenter dans la Bible de Nuremberg ou le De Macrocosmica Historia, le premier jour et sa lumière pour conférer à Dieu une existence. La production d’une imagerie contemporaine du big bang par l’enregistrement d’un rayonnement venu de la nuit des temps, pourrait bien être l’une des conditions de l’invention d’une explosion unique, originelle, point de départ de l’Univers entier…

par Monique Sicard
Ce texte est extrait des Cahiers de la médiologies n°10
dont le supplément couleur constitue le catalogue de l'exposition.


I. Le Livre lumière

Trois ouvrages d’or jalonnent l’histoire du livre : la Bible, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, le livre écran de nos ordinateurs contemporains. Fin du XVIIIe siècle : l’Encyclopédie des Lumières s’installe contre l’obscurantisme en théâtre de la clarté et de la preuve. En développant une philosophie de l’objet, objet technique elle-même, elle rend le monde compréhensible. Fin XXe siècle : nos livres électroniques innovent. Dissociation du support et du texte, changement de matière, de format. De leurs pages-écrans sourd une lumière où l’esprit le dispute à l’électronique. Ils portent en eux, sans doute, un nouvel ordre de lisibilité du monde.

L’histoire du livre est émaillée de ces paradoxes qui conduisent à déceler la lumière dans l’encre noire et les caractères de plomb, ou la couleur dans les gravures en noir et blanc. " Les historiens, dit Michel Pastoureau, n’insisteront jamais assez sur cet événement considérable que représente dans l’histoire de la sensibilité occidentale l’apparition de l’image gravée et imprimée. En quelques décennies, la société européenne cesse de consommer des images presque exclusivement polychromes – les images médiévales – pour se limiter à des images majoritairement en noir et blanc – les images modernes ". La couleur est bien là, mais " sous le manteau d’encre ". Le prisme de Newton et ses arcs-en-ciel ont définitivement chassé le noir et le blanc de la gamme des couleurs, il convient dès lors de coder la couleur – donc " la lumière, la brillance " – par le noir et le blanc. Et ce jusqu’à ce que Le Blon, au début du XVIIIe siècle invente la gravure en couleur.

Le plomb, les encres, les presses très noirs de ce " chromoclasme " ont fait de l’imprimeur le magicien d’un art noir. Le contremythe de l’imprimeur porte-lumière incarné par les " Gutemberg porte-flambeaux " naît au XVIIIe siècle et s’épanouit au XIXe, au moment même où la diffusion de la grande presse semble menacer le livre.


II. La Ville lumière

Au XIXe siècle, l’éclairage électrique, fondamentalement urbain et public, bouleversait la forme des villes. Emergeait alors l’utopie du phare unique rassemblant et organisant les hommes dans sa clarté immense et lunaire, transformant la ville en espace univers.
Mais à la fin du siècle, l’ampoule à incandescence fragmente l’éclat lumineux, le répand le long des rues, de boutique en boutique. Les clients virevoltent un à un, mais en masse. La lumière électrique éblouit tout en s’éclairant elle-même. Plein feux sur les marchandises qui se font les allégories du progrès.

Braquer des projecteurs sur une église, c’est lui éviter les démolitions intempestives. Au risque d’en dissiper l’âme. Plus solide que la pierre, la lumière fabrique le patrimoine à grands coups d’éclats.
La ville s’emballe. Un halo blanchâtre s’élève, obstacle aux ciels de nuit. Les lumières des comètes, des galaxies et des étoiles qui occupaient la place laissée libre par l’éloignement des religions sont chassées par la ville. Les observatoires astronomiques se réfugient dans les montagnes. Le commerce entre les hommes relègue au loin le parti-pris des choses.
Au sol, les artistes de la ville soulignent les ponts, tirent de lumière des traits d’union. Les friches industrielles sont des opéras et les opéras des friches industrielles. Après les religions, après la science, la culture devient le plus court chemin d’un citoyen à un autre.


III. Le corps lumière

" Il faut regarder la substance molle du cerveau
comme une masse d’une cire sensible et vivante.
Mais où est le lecteur? C’est le livre lui-même ".

Diderot, Éléments de physiologie


Mettre en lumière le corps humain, c’est en livrer des représentations, faire rejaillir par elles la lumière intérieure du modèle ou du peintre. Mais c’est aussi, plus trivialement, assurer l’éclairage des amphithéâtres de dissection; clarifier les savoirs sur le corps; faire progresser la science anatomique.

Jamais peut-être l’écart entre un objet et sa représentation ne fut plus important qu’entre le corps du cadavre et la beauté des planches gravées de l’anatomie. Longtemps elles ont fui les pathologies, ne rendant compte des savoirs du corps qu’en revenant au normal et à la vie. En retour, elles n’illuminèrent pas seulement l’homme disséqué mais aussi ses savants, ses universités, ses graveurs et imprimeurs, ses lecteurs et étudiants.
La photographie (l’écriture de lumière) est, au XIXe siècle, d’un apport paradoxal.
Trop réaliste, elle entache ce corps malade qu’elle s’efforce de rendre clair. Contre-coup : l’arrivée transparente et lumineuse de la radiographie est reçue comme un ré-enchantement.
Mais c’est sur le berceau de son propre esprit que se penche le chercheur contemporain. La beauté colorée de l’imagerie médicale numérisée offre l’illusion d’un accès transparent à la raison du mathématicien, au rêve du dormeur, au savoir-jouer du violoniste, à l’habileté du récitant. Pour le neurobiologiste, le cerveau, enfin visible, se fait livre.

IV. L’Image lumière

Il est plus raisonnable de regarder l’image de l’éclipse que l’éclipse elle-même. La source lumineuse, elle, éblouit, empêche la lucidité, rend aveugle. La connaissance du monde ne peut se réaliser que dans l’obscurité de la caverne par image projetée interposée. Imparfaite, dit Platon, mais d’efficacité non nulle.
Le dispositif de projection servira plus tard les techniciens et techniques de la transmission : marchands de peurs et fantasmagories de la période révolutionnaire, éducateurs et pédagogies du XIXe siècle, photographes, industriels de la culture et attractions cinématographiques du XXe siècle, télé-visions et commutations de nos écrans domestiques contemporains.

La projection est un pas vers l’avenir. L’arrivée du cinématographe à Lyon, à la fin du XIXe siècle, marque l’invention médiatique l’actualité centrée sur de l’événement. La confusion de la réalité avec ses images projetées devient fusion avec l’émergence du direct télévisuel dans les années 1960.
Par les dispositifs projectifs du sténopé, de la photographie, de la vidéo, les artistes interrogent la place de ce spectateur contemporain qui ne reçoit du monde que les projections que veulent bien lui livrer tant la chambre noire de son œil que nos camera obscura techniques.

Monique Sicard

mis en ligne le 23/11/2000

Ce texte est extrait des Cahiers de la médiologies n°10
dont le supplément couleur constitue le catalogue de l'exposition.

Commissariat Monique Sicard
Conseil scientifique Robert Dumas
Coordination, logistique Sylvie Beauchière
avec la collaboration d’Eliane Gros
Coordination ENSSIB et recherches Marie-Noëlle Frachon
Scénographie Ensemble Noao, Lyon
Coordination scientifique Patrick Bazin
François Dupuigrenet-Desroussilles
Guy Parguez
Yvette Weber
Anne-Marie Rouge
Françoise Lonardoni
Sylvie Aznavourian
Maquette catalogue Louise Merzeau
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