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Dialogue en rond entre un sceptique et une convaincue
Dossier Jacques Monory : Dialogue en rond entre un sceptique et une convaincue par Jacques Monory et Isa-Lou Regen
par Jacques Monory et Isa-Lou Regen
I-L R : Soit. Mais le seul fait de faire une exposition, c’est bien s’exposer, se montrer soi-même, se mettre en avant ?

J M : C’est vrai, oui… On se pose devant le regard des autres. Il peut tout de même arriver que tu reçoives une tomate, ou même que personne ne te voie. Bah, c’était le jeu, fallait pas y aller. Ce qui est vexant, c’est d’être vexé de ça ! Je sais bien que la reconnaissance est nécessaire. Mais il y a décidément trop de conditions à remplir pour accomplir ce qu’on appelle une grande carrière internationale : celle que je n’ai pas faite et que je suis content de n’avoir pas faite.

I-L R : Moi, je pense que tu as fait une très belle carrière. Mais je comprends bien ce que tu refuses dans le processus de la reconnaissance : la dynamique commerciale et médiatique qu’il faut sans cesse entretenir. Le jeu du business n’est pas ton histoire.

J M : Disons que je suis un peintre français assez original et puis voilà ! J’ai honte quand je m’avoue à moi-même que j’aimerais être un peu plus reconnu internationalement parce que je n’ai pas à me plaindre. Parfois, on pense même que je suis célèbre, et c’est bien ce que d’une certaine façon j’ai recherché, mais pas très adroitement. J’ai mal essayé, et il y a quand même eu quelques résultats. Je connais des peintres qui essayent aussi…

I-L R : et qui n’y arrivent pas ?

Dossier Jacques Monory : Dialogue en rond entre un sceptique et une convaincue par Jacques Monory et Isa-Lou RegenJ M : Ils se donnent un mal fou, et ils n’y arrivent pas… et puis il y a le facteur chance. Récemment, par exemple, j’estime avoir eu de la chance lorsque, pour le nouvel accrochage des collections au Centre Pompidou, le responsable de la section cinéma, Jean- Michel Bouhours, a voulu me consacrer une salle entière parce que j’étais en phase avec le sujet qu’il voulait développer. Bouhours, sans le savoir, est passé par dessus l’opinion des conservateurs patentés de l’art admissible qui ne m’auraient jamais consacré autant de place. Etant entendu qu’avec eux, Warhol, lui, n’a absolument pas besoin d’être synchrone avec le sujet pour qu’on le colle à toutes les soupes…

I-L R : Campbell ! (rires). Mais toi, tu aimes bien Warhol ?

J M : J’aime bien sa manière de se cacher. J’aime bien le masque qu’il a pris. Et puis, ce que j’apprécie terriblement chez lui, c’est qu’il se présente comme un être superficiel, tout en surface, alors qu’il a évidemment bien plus de fond que ceux qui claironnent qu’ils " ont du fond " et qui en mettent épais comme ça ! Warhol a l’air de ne prendre que des gens du monde, des célébrités, des paquets de lessive : tout ça pourrait être écoeurant, mais pas du tout. En faisant tout cela, il te parle. Il te parle de la mort et du passage. Il ne le dit pas aussi directement que moi (moi, c’est tout juste si je n’écris pas le mot " vanité " sur mes tableaux !), non : officiellement, il proclame seulement " je suis un mec qui est vachement célèbre, et c’est la célébrité qui m’intéresse. Et je vous dis merde ", alors que c’est un leurre, et qu’il y a tout autre chose derrière. C’est ça que j’aime en lui.

I-L R : Mais tu ne peux tout de même pas me dire que Warhol n’a pas " fait carrière " au pire sens que tu entendais tout à l’heure ?

J M : Il n’y a que les exceptions qui comptent ! Oui, il a fait une carrière, mais aventureuse, et il a réussi magistralement avec une réflexion grave sur le monde.
Je trouve la carrière de Warhol parfaite dans son succès, dans sa réalisation, dans sa pensée. Il y a vraiment accord entre ce qu’il pense du monde et ce qu’il est. Warhol a été le contraire de ceux qui prennent le position de " maître " et qui donnent leur œuvre en exemple. Je n’aime pas ceux qui veulent paraître au-dessus de ce qu’ils sont vraiment.

I-L R : Ce que tu dis me plaît bien, parce que moi aussi je suis touchée par Warhol, à la fois si spontané et si lucide dans sa manière d’avancer… En annonçant sa superficialité, il interroge sur la fragilité du " je ". C’est cette forme d’intelligence qui me parle le plus, à moi aussi. Mais revenons à toi.

J M : Oh moi, je suis sûr que je ne suis pas sûr !

I-L R : Socrate n’est pas loin.

J M : Je ne vais pas me comparer à ce brave homme, mais je sais que je ne sais rien. Je ne " sais " jamais et je ressens souvent.

I-L R : Je voulais savoir : d’après toi, quelle est l’émotion première qui t’a accompagnée toutes ces années. Est-ce qu’il y a une émotion dominante ?

J M : La peur. Quand j’étais petit j’avais très peur du noir. Maintenant ça va, mais la peur a changé d’objet. Par exemple, j’ai peur en moto mais comme je suis un esprit volontariste je fais de la moto. A chaque fois que je prends ma moto, je me dis que c’est la dernière, et quand je suis revenu je suis très content parce que je suis vivant ! De toute façon, je me dis aussi que si je ne sors pas, je suis mort, puisque la vie c’est justement sortir. Je suis obligé de faire comme si je n’avais pas peur. Mais j’ai peur.
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Jacques Monory et Isa-Lou Regen
mis en ligne le 15/10/2002
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