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Dossier Bernard Ollier
L’Après : certitudes et incertitudes
par Bernard Ollier


MANUEL AUSTRE.
Pendant sa conférence, «Révélations post mortem » ou « Les Observations cliniques de l’Après », grand A, petit a, petit b, petit c, Manuel Austre, petit d, va enfin prendre l’exemple attendu le mieux placé de sa mort personnelle. À cette annonce, l’assemblée se propage d’un brouhaha insonorisé. Le silence des papiers bonbon n’ont pas le temps de finir de se déplier qu’ils disent Chut !… L’orateur jauge son public puis se retourne et dessine l’organe de sa mort sur le tableau noir. Il lui décrit le processus final en lui remplaçant, après un coup d’éponge humide, le déjà pas beau par l’horrible. Il lui gribouille un tortillon dans lequel on reconnaît visiblement la souffrance et les cris de sa douleur. Il fait sortir de cet amas embrouillé un tracé par où passe l’arrivée du passage P en une flèche qui montre la mort rejoindre son cerveau C pour devenir simple cervelle C’, mais attendez, attendez, pas encore ! car chacun peut voir le conférencier effectuer des zigzags partout rompus sur l’étendue des restes du vivant de sa mort. Il fait ainsi clairement apparaître que ce ne sont bientôt plus que des tremblements d’éclairs : c’est par eux que la mort lui regarde les hémisphères réparer en toute hâte quelques-uns de ses derniers électrons cérébelleux inférieurs au cours de l’Après dont il ne s’était pas rendu compte pendant son vivant… L’assistance scande L’Après, l’Après, l’Après ! Le docteur Hon, qui jusque-là écoutait l’orateur, éclate de rire puis se lève, prend ses gants, enfile son chapeau et donne en quittant la salle de furieux coups de canne sur les dossiers de bois des strapontins pour exprimer son scepticisme… Une rumeur d’hésitation parcourt la salle entière… Notre conférencier ne se démonte pas. Dans le silence revenu, il ouvre un grand couvercle et montre sobrement voir constater le témoignage de son cadavre mort depuis trois jours. Stupeur dans les rangs de l’assistance ! On veut savoir la suite ! On réclame l’après, on trépigne L’Après! L’Après ! L’Après ! L’Après est Maintenant, le cadavre n’a rien à dire tant il est parlant de celui qu’il fut après qu’il n’était plus. Il confirme l’équivalent de son être vivant à tous ceux qui ont des yeux pour voir, et dans les moindres détails, jusqu’à son absence remarquée qui parle pour lui depuis le début de la conférence et qui prouve (s’il en est besoin) la disparition qui le précéda : une disparition dont personne n’a jamais osé pouvoir constater le contraire. Ovation admirable du public reconquis… On s’embrasse, on se congratule, on se touche, on se dit qu’on ne rêve pas et qu’on a bien vu la disparition du conférencier et la vie posthume de sa mort ! Au sujet de l’auteur de la conférence, Docteur Hon – encore un qu’il est impossible de n’avoir jamais tort – prétend la supercherie que ce n’est pas lui, mais un autre ! – Enfantin ! la ficelle usée était grosse comme une corde, et, quant à l’absence de l’auteur disparu, bête comme chou ! il a tout bonnement suffi qu’elle se soit faite remplacer par une autre à peine différente de la première, pour abuser les gogos.

SAMUEL AUTRE
Mécanicien et bricoleur de génie, inventeur d’un procédé qui porte son nom, il ne survit pas à la présentation qu’il fait de son invention. L’alcôve de la mort. Le 13 mai, sur la scène de la Femme Française, devant un parterre de stars, débute un spectacle qui promettait de faire la démonstration de comment s’y prend la pratique intime de la mort. Mais l’intensité du courant nécessaire à la projection lumineuse met rapidement le feu à des papiers d’archives, (les documents éparpillés après la reddition des Derniers Gouvernements, dont beaucoup avaient été froissés en boulettes ou bien souvent transformés en confetti). Des papiers, le feu ne tarde pas à se propager au bâti de bois de l’installation puis aux sièges du parterre, aux gradins (de bois également), et à tout l’édifice. Le feu couve tout d’abord, provoquant d’épaisses fumées, qui, tout en se faisant confondre un temps avec les effets des manifestations fantastiques du procédé, ne savent plus si elles sont les volutes de la marche de la mort venue, ou le fantôme mouvant de son cadavre. Description du procédé Autre ou La trop brève carrière d’une invention. Le Procédé Autre était l’aboutissement de 21 prototypes, pas moins ! Les 20 premiers étaient inaboutis ; ils ont été impitoyablement détruits par l’inventeur. Le 21e, enfin parfait, portait la lettre U du nom de son auteur… mais hélas ! il fut celui qui disparut avec lui ! Il était fondé sur la propriété que possède la glace sans tain (A), lorsqu’on la dresse devant un fond sombre, de refléter les objets que l’on place au-devant d’elle (en C), en laissant apparaître en même temps les objets restitués derrière elle (en D) tout en l’inclinant et la surélevant quelque peu de façon à ce que le bord inférieur a repose sur l’avant de la scène (E) pour pouvoir éclairer un personnage (B) dans les dessous – son image réfléchie (C) parvenant indirectement aux yeux du parterre de stars (évoqué plus haut) – et pour pouvoir paraître à celui-ci se mouvoi????4?r sur la scène même, par un réglage convenable de leurs mouvements respectifs. Dans ce dispositif, A, B et C pouvaient ainsi figurer une scène complète entre un acteur réel A et B, (le Médecin pour l’occasion), et un personnage C (le Cadavre de ce dernier en patient mécontent du docteur qui l’a tué) fondant sur l’homme de l’art pour le tuer à son tour. En retour, le personnage du Médecin A et B, tout ensemble Auteur et Acteur, devait faire semblant aux spectateurs de voir constater sa propre mort ellemême. Hélas ! on n’a rien vu. Rien

Bernard Ollier
Attention ! on ne doit pas confondre Manuel Austre et Samuel Autre, la conférence du 13 mai de l’un se situant trois jours après (ou avant) la mort à la même date de l’autre.
mis en ligne le 10/12/2008
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