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Au nom de l'artiste - Ramsà
par Corinne Buchon

« Au nom de l’artiste » exposition de Ramsà
Espace Culturel du Centre I.U.F.M. de Reims
11, rue Gabriel Voisin 51688 Reims
du 8 novembre au 18 décembre 2008





Des fac-similés d’un paquet de lessive belge RAMSA datant des années 50. En regard, des photographies couleur d’un paquebot fatigué servant de support publicitaire à la lessive OMO. Le tout accroché sur un fond rose acidulé, presque écoeurant.

Il était en effet tentant de faire le parallèle entre ces photographies prises lors de son séjour à Salvador de Bahia au Brésil en 2008, et ce paquet de lessive trouvé dans un grenier par des amis. Mais au-delà de la coïncidence, de l’anecdote amusante, il y a dans l’installation Au nom de l’artiste présentée par Ramsà à l’Espace Culturel du Centre I.U.F.M. de Reims, une question grave posée : la question de l’eau, du respect de l’environnement et de la planète.

L’eau n’est pas montrée. Juste suggérée par l’évocation de lessives à l’ancienne. Les deux femmes de profil, qui passent impassibles devant l’objectif en portant chacune traditionnellement une lourde caisse sur la tête, nous font penser au linge lavé autrefois à la rivière. Mais il n’en est rien, ce ne sont que des caisses réfrigérantes en polystyrène contenant des aliments. Et puis il y a le paquebot, qui nous parle de traversées, de croisières, de tempêtes et de houle.

Le paquet de lessive RAMSA a quelque chose de fabuleux et d’étrange qui renvoie aux produits dérivés d’œuvres d’artistes. Il s’apparente aux ready-made de Duchamp, ces produits manufacturés, détournés et hissés au rang d’oeuvre. La lessive OMO, plus familière, fête ses 100 ans cette année. Pionnière dans l’utilisation de la puissance technologique - OMO est sans savon depuis 1952 ! - elle a durablement formaté les stratégies publicitaires dans ce domaine. Ses slogans restent populaires : « OMO est là, la saleté s’en va », ou encore fin des années 80, « plus fort[e] pour les taches, plus tendre pour le linge ».

A priori rien à redire pour la ménagère, que les publicistes voudraient voir à l’affût de la formule idéale lui garantissant des tenues impeccables malgré l’adversité du quotidien. Mais on se souvient d’un sketch de Coluche qui met à mal les archétypes publicitaires des principales marques de lessive et leur obsession pour le blanc, flirtant avec le ridicule et le risque de transparence : « elle lave plus blanc que blanc…». L’air de rien, notre vigilance est éveillée, et le rayon laser bleu et blanc, qui s’échappe du paquet pour corroborer le slogan, a ce quelque chose d’inquiétant des films de science fiction. Sa mission : désintégrer la saleté récalcitrante. C’est là que le regard de Ramsà est pertinent. Elle capte toute la justesse de la situation. De cette affiche qui se délite, se désagrège sous l’attaque du vent et des paquets de mer, elle met en lumière les méfaits des agents chimiques trop agressifs pour les textiles, mais pas seulement. La saleté est désintégrée, mais à quel prix ? L’eau pure sensée nettoyer le linge se trouve irrémédiablement souillée, se déversant dans les rivières et dans les mers entraînant la pollution qu’on sait.

Ce qui est époustouflant, c’est la dimension picturale de ces images prises sur le vif. Le bas de l’affiche part en lambeaux, faisant référence aux affichistes et à Villeglé. Mais il y aussi un quelque chose de Gerhard Richter tirant sa peinture à peine sèche sans révéler pour autant la généalogie du tableau. La composition s’organise autour de deux obliques dynamiques créées par le pont du bateau et le rayon laser de la publicité. Les personnages pris à hauteur d’épaule sont comme écrasés par le cadrage très serré. La couleur les happe. Ils n’ont plus d’épaisseur.

Au-delà de cette nouvelle coïncidence qui dénonce des slogans mensongers et des pratiques responsables à terme de graves problèmes sanitaires et d’environnement, c’est le symbole de la société capitaliste de consommation qui tombe de son piédestal. Les deux femmes sur l’une des photos, continuent de vaquer imperturbables à leurs occupations, bien plus préoccupées par leur survie quotidienne, qu’à la dernière trouvaille de la marque OMO. Seul un homme, la main sur le front, regarde au loin, pensif. A-t-il conscience de l‘effondrement qui se profile.

Cette installation s’inscrit dans la continuité de la réflexion que mène Ramsà autour de l’eau et plus particulièrement sur les questions d’environnement. L’eau, élément à la fois enchanteur, fascinant et indomptable se retrouve dans les vidéos La balade des seins perdus (2003) ou Retour à l’envoyeur (2003), présentées dans l’exposition. L‘artiste va plus loin en nous renvoyant à nos comportements irresponsables face à la nature et le monde : dans une autre vidéo, Up to date (1) elle nous compare à ce petit enfant désinvolte malmenant sur la plage un hochet en forme de globe terrestre. La question de l’eau comme élément rare et précieux est développée dans la série des glaciers de l’Antarctique pleurant des larmes de diamants. EIles symbolisent le prix exorbitant que font payer les pays occidentaux à la population mondiale. Les travers de la société capitaliste gangrènent l’économie et l’écosystème de pays en voie de développement, à leur tour incapables de gérer seuls les pollutions qui les dépassent.

L’installation C’était trop beau (2007), revient sur la valeur inestimable de l’eau, l’eau source de vie, eau produit de luxe, qui se fera de plus en plus rare au point de ne plus devenir qu’un souvenir. Le poisson desséché et sans vie dans son bocal sera remplacé par son image directement sérigraphiée sur le verre.

Ramsà accorde une attention toute particulière à ses titres. Au nom de l’artiste, n’échappe pas à la règle et présente un double sens. Il renvoie bien entendu au paquet de lessive du même nom. Mais il signifie, au-delà du témoignage, que l’artiste fait entendre sa propre voix et exhorte par le biais du décalage et de l’incongru (2) la population mondiale à une prise de conscience pour préserver l’eau et l’environnement.

On en vient à espérer quelque miracle, puisque Ramsà, (pseudonyme choisit par l’artiste sans en connaître la signification) veut dire « la main de Dieu qui protège » en arabe. Et si la lessive RAMSA était la lessive rédemptrice, naturelle, contenant des composés divins actifs, capables de préserver les humains d’eux-mêmes. A moins que l’artiste par la pertinence de son regard sur le monde ne soit le gage de notre rédemption.

Corinne Buchon, octobre 2008
Corinne Buchon est commissaire d'exposition et coordonnatrice d'événements. Elle est conseillère artistique de l'association Artaïs - art contemporain (www.artais-artcontemporain.org) . Elle a dirige pendant 6 ans la galerie municipale d'art contemporain du centre culturel de Cesson-Sévigné près de Rennes (35). Elle vit et travaille en région parisienne.


1)Montrée sur Arte à l’émission La Nuit de Paul Ouazan en 2004.
2)Voir Visuelimage.com : "décalage horaire" par Corinne Buchon, février 2006.
mis en ligne le 04/11/2008
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