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La mondialisation par l’image
Depuis plusieurs années, une guerre est lancée entre quelques grands trusts qui rachètent à tour de bras les plus grands fonds de photographies du monde, autrement dit, les archives visuelles de la planète. Leur but : tout mettre en ligne et vendre au grand public pour des sommes très bon marché.
Ces perspectives inquiètent les photographes au moment où notre rapport aux images est en plein bouleversement.
par Richard IGNAZI


La photographie est née en France, il y a plus de cent cinquante ans. C’est ce que certains photographes tentent de rappeler aux industriels américains, tant les problèmes liés à l’image émergent de façon inquiétante, à l’heure du numérique. Les auteurs d’après-guerre ont su faire reconnaître leur production comme œuvre à part entière (Loi de 1953) et font désormais figure d’exception culturelle auprès du marché américain qui lui, n’est pas régi pas les mêmes lois ni les mêmes pratiques. Si Paris est la capitale de la photographie tant elle compte de photographes et d’agences, elle est aussi actuellement le théâtre de nombreux désaccords entre les auteurs des images et ceux qui les exploitent. Alors que les industriels pensent acheter des produits, ils ont en fait hérité d’une masse de problèmes liée au droit d’auteur et aux responsabilités morales relatives à la diffusion d’images de presse.

La mondialisation par l’image
illustration d'aprés Le point de vue du Gras - Nicéphore Niepce - vers1827

Tout a commencé lorsqu’un visionnaire (sic) nommé Bill Gate créé en 1989 sur ses fonds propres, une société de vente de contenu graphique, prévoyant qu’une forte demande de contenu se ferait sentir sous peu. Tout reste assez calme jusqu’en 1994, date à laquelle Mark Getty , riche héritier d’une grande famille d’industriel du pétrole, décide de reconvertir sa fortune dans ce secteur en lançant Getty Images, société cotée en bourse. Durant plusieurs années, les deux géants se livrent bataille, mettent la main sur les plus grands fonds d’archives à coup de millions de dollars, s’orientant vers des stratégies similaires : couvrir tous les champs de la photographie, ainsi que les arts visuels en général. Corbis rachète Bettman, la plus grande mémoire photographique des Etats-Unis, riche de 16 millions d’images, et passe des accords avec des musées, comme l’Ermitage ou le Louvre.
Getty, de son côté, acquiert The Image Bank, portant à 30 millions le nombre d’images disponible, et créé à Los Angeles, le Paul Getty Museum, sorte de parc culturel où l’on peut venir se cultiver en famille, voir des expos, en anglais comme en espagnol, manière d’acquérir un peu de crédibilité de la part d’un large public.
C’est alors la course à la numérisation qui commence. Toute agence photographique qui n’a pas su anticiper et prévoir les coûts du numérique n’est plus compétitive et devient ainsi une proie facile pour les financiers. La numérisation d’une image est estimée en moyenne à 50 F pour qui n’a pas les infrastructures nécessaires à cette opération. Depuis, Corbis annonce de plus de 65 millions d’images dont 2,5 millions numérisées, contre 70 millions d’images pour Getty, avec 1,5 millions numériques. Comble du hasard s’il en fut, cette bataille rangée de la course aux images se gère depuis Seattle, ville symbole de la mondialisation depuis l’hiver dernier, où les deux compagnies ont leur siège.
Pendant ce temps, à Paris, plusieurs agences s’inquiètent de leur avenir ne souhaitant pas brader leurs stocks. C’est alors qu’Hachette se lance dans la danse en accédant à 75 % du capital de Gamma, l’une des trois plus grandes agences de photo de presse. Au travers de la société Hafimage (Hachette-Fillippacci Image) le groupe rediffusera les productions photographiques de ses supports (200 magazines dans le monde) ainsi que les fonds des sociétés récemment rachetées, comme Rapho et Keystone, des fonds d’images historiques ou MPA, Stills ou Katz, des agences traitant du " people ". Une stratégie toute différente qui mise sur la qualité plutôt que la quantité, mais qui, à long terme, devra se plier à la vente au grand public.

La mondialisation par l’image
illustration d'aprés Le point de vue du Gras - Nicéphore Niepce - vers1827

Le festival Visa pour l’image qui, chaque année en septembre, regroupe à Perpignan le monde de la photo de presse a connu cette année quelques remous, signes de mutations décisives dans la profession. La présence, pour la seconde année consécutive de Steve Davis, patron de Corbis, n’a fait qu’échauffer les esprits. Alors que ce dernier devait présenter des nouveaux contrats aux photographes de Sygma, relatifs à la vente d’images via internet, la conférence fût tout simplement annulée. L’interception d’un e-mail envoyé par le bras droit de Steve Davis, limogé depuis, à ses collaborateurs, fit l’effet d’une bombe. On pouvait notamment y lire des consignes strictes conseillant de se méfier des photographes français. La presse fut finalement convoquée dans une panique générale, annonçant que le problème serait réglé dans la semaine. À la mi-octobre, les négociations étaient toujours en cours.
Par ailleurs, des grands groupes de presse comme Marie-Claire ou Prisma Presse ont récemment proposé à leurs collaborateurs salariés, des contrats qui posent le même type de problèmes. Aucun droit d’auteur ne sera perçu par les photographes pour l’exploitation d’images sur internet, ainsi que sur " tout autre support connu ou inconnu ". Il va de soi que seuls les signataires de ce contrat se verront confié du travail quand les autres seront sur liste noire. Un collectif s’est très vite mis en place sous le nom de Freelens, en partenariat avec un syndicat allemand, la situation étant similaire outre-rhin. Là non plus, pas de négociation possible et ce sont les gestionnaires qui gèrent les entreprises de presse et la question devrait être bientôt discutée au niveau européen.
Même si les problèmes sont plus évidents dans la photographie de presse que dans d’autres domaines, il s’avère impossible, de par la nature même de ce qu’est la photographie, d’adapter les lois selon le secteur d’activité, et la France a en effet produit des lois qui, si elle protègent les auteurs, sont relativement atypiques à l’échelle des World Company.
Richard IGNAZI
mis en ligne le 24/10/2000

1989
Bill Gates créé Interactive Home Systems, qui deviendra Corbis. Il en offre la direction à un ami avocat, Steve Davis.

1994
Mark Getty fonde Getty Images, société cotée en bourse.

1995
Getty s’achète Hulton Deutsch, Tony Stone Images, Liaison, Allsport et PhotoDisc.

1997
Corbis rachète Bettman et essuie un refus de vendre de Sipa.

1999
Corbis rachète Sygma et augmente ainsi son capital d’images de 650 000 numérisées.
Getty de son côté rachète The Image Bank, leader du marché publicitaire.
Au mois de novembre, Hachette investi dans 80 % du capital de Gamma

2000
Hafimage confirme l’achat de Rapho, Hoa-Qui, Explorer, Stills, Katz, Jacana, MPA et Keystone, et compte lancer à la rentrée 2001, un portail diffusant 5 millions d’images numérisées.
Getty prend possession de la société britannique Visual Communications, qui compte 1 million de photos numérisées.

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