chroniques - art contemporain - photographie - photography



version impression
participez au Déb@t

Les artistes et les expos
Sylvie Roques-Gaichies par J.-L. C.
Inattendus : Esther Segal par Marguerite Pilven
Les artistes et les expos : Sylvie Roques-Gaichies par J.-L. C. & Inattendus : Esther Segal par Marguerite Pilven

Les artistes et les expos : Sylvie Roques-Gaichies par J.-L. C. & Inattendus : Esther Segal par Marguerite Pilven Sylvie Roques-Gaichies
par J.-L. C.
La galerie Nicole Ferry suit, d’année en année l’évolution du peintre Sylvie Roques-Gaichies qui s’épanouit aujourd’hui dans une série qui pourrait être définie par le titre d’un des tableaux de sa prochaine exposition (novembre 2005) : Il m’a dit « ma tête est tout un poème ».
Le peintre opère une synthèse plastique entre des souvenirs personnels (un chien rencontré en hiver sur l’île de Langarote, dont le pelage jaune apparaissait rouge au soleil couchant) et une expérience quotidienne en asile psychiatrique. « Ceux que l’on nomme « fous », si proches des poètes, échoués sur leurs îles, j’ai pu les rencontrer » dit Sylvie Roques-Gaichies. Ses tableaux récents témoignent à la fois de la force de l’inspiration et de l’imagination dans les solutions esthétiques qui sont la marque de cette artiste.

Sylvie Rocques-Gaichie, Ballade du chien loup rouge au clair de lune, 2004, techniques mixtes.






Inattendus : Esther Segal
par Marguerite Pilven
Esther Segal utilise la photographie comme un outil d’exploration de son histoire personnelle, de son héritage familial. Sa première série photographique, Bois de Corps est traversée par l’expérience du deuil paternel. Segal s’intéresse alors aux écrits de Jung, et notamment à sa notion d’inconscient collectif. S’appuyant sur la symbolique de l’arbre, comme image paternelle, comme axe reliant le ciel et la terre, elle réalise une série de 32 tirages rythmée par l’idée du rituel de passage, où le corps fragmenté, la dépouille se libère pour se transmuer en un corps lumineux.
Esther Segal semble avoir faite sienne cette phrase de Gaston Bachelard : « Nous sentons les racines travailler, nous sentons que le passé n’est pas mort ». Le noir et le blanc de la photographie sont les deux pôles entre lesquels elle oscille, le travail d’introspection menant aussi, par moments à l’écueil difficile de l’aveuglement. L’artiste en fait elle même l’expérience, avec le sentiment d’être arrivée au bout d’une impasse. Elle noircit alors intégralement le papier photographique puis s’empare de l’outil de l’aveugle, un poinçon, avec lequel elle perfore le dos de la surface sensible. La lumière passe à travers les petits trous de ce braille idiosyncrasique comme par un tamis. Il s’agit en fait de mettre en place un système de capture de la lumière pour ne garder que l’essentiel de la photographie : le point lumineux. Un renversement s’opère, de la figure au point, de l’image iconique à l’écriture, rapprochant l’artiste de son héritage judaïque paternel. Des analogies lui apparaissent progressivement, entre le point lumineux et l’écriture hébraïque. Il existe en effet dans son alphabet une lettre en forme de point, le « yod » qui anime la lettre, symbolise l’âme dans l’écriture. Le papier photographique devient ainsi le réceptacle de cette écriture lumineuse et l’artiste réalise sous l’impulsion de cette découverte un polyptique de plus de quatre mètres de longueur où les points se resserrent jusqu’à ressembler étrangement aux lettres de l’alphabet hébreux. Patiemment, à la main, elle fait ses petits trous à l’épingle, par lesquels passe la lumière du jour comme à travers un voile. Ce fin rideau photosensible devient alors le lieu d’une écriture lumineuse de la mémoire, la condition même de la visibilité.
Une métaphore de la vision défaillante, avec ce que celle-ci comporte de références au péché, traverse tout ce travail. De façon quasi dialectique, Segal alterne entre phases d’aveuglement et dépassements de celles-ci par la mise en place de procédés où le hasard et l’imprévu lui ouvrent de nouveaux possibles. Le jeu de dés, le tangram chinois font d’ailleurs également partie de son iconographie.
Avec l’écriture du braille, le toucher prend le relais de l’œil, la lecture passe par le mouvement des doigts. L’activité de la main devient une planche de salut, une condition matérielle d’arrachement à l’ignorance et à la passivité, pour entrer dans une lente et laborieuse construction de soi.


(Esther Segal vient de participer, comme jacqueline Taïb et 28 autres jeunes artistes plasticiens, à l’exposition « L’art et la ville » de l’Orangerie du Sénat et du jardin du Luxembourg).

mis en ligne le 28/08/2005
Droits de reproduction et de diffusion réservés; © visuelimage.com - bee.come créations