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Vladimir Velickovic
Vladimir Velickovic par Amélie Pironneau
Vladimir Velickovic par Amélie PironneauLes peintures les plus récentes de Vladimir Velickovic, ainsi que les dessins et les collages, sont exposés à Belgrade depuis le 25 septembre dans quatre lieux différents (1) . Une occasion, peut-être, de discerner des temps différents dans l'œuvre autour desquels elle s'articule et qui constituent les fondements de son unité.
Une diagonale divise l'espace du tableau en deux plans balayés par deux couleurs, un rouge intense qui contraste avec un brun brûlé. Feu et ténèbres, l'enfer sur la terre ... Sur cette ligne de tension, se dresse la figure, acéphale, Figure en soi de la destruction de la figure humaine, mais cependant toujours humaine, dans sa nudité qui laisse voir sa chair et la force qui l'habite. Figure qui prend corps, dans et par la peinture pour échapper à l'espace infernal, dans un mouvement ascensionnel vers l'angle droit de la toile, hissée malgré elle vers le sommet grâce aux marches fixées sur le grand triangle sombre qui lui sert d'ultime piédestal. Construction d'un espace, comme le montre les travaux préparatoires, plus que composition.
Premier temps dans la peinture de Vladimir Velickovic : la peinture comme combat contre la destruction de la figure humaine.
Malgré sa masse, malgré la contraction extrême des muscles de son large dos, malgré la trajectoire qui la projette vers le fond du tableau, l'immense figure ne parvient pas à traverser l'obstacle qu'il représente, mur infranchissable dans l'obscurité duquel elle est aspirée. Il n'y a plus, dans la peinture, de "point de fuite". L'espace s'ouvre désormais du côté de notre propre espace et nous le montre tel qu'il est, tragique.
La figure, désarticulée, est maintenant suspendue à un crochet. De sa chair déchiquetée, ensanglantée, s'échappent les viscères. La lumière a la froideur du métal. Figure en soi de la violence portée par l'homme à ses semblables ; torture, défiguration de l'homme par l'homme.
Deuxième temps de l'œuvre, le temps de l'inhumain et sa face terrifiante ; un temps qui implique un corps à corps de l'artiste avec la peinture dont rendent également compte les dessins dans lesquels les lignes, dans leur enchevêtrement, disloquent les figures.
Une blancheur grisâtre recouvre la surface de la toile comme un linceul. Aux coulées de peinture, semblent s'être mêlées la poussière et la cendre qui engloutissent les lieux après leur destruction. Au mouvement de la vie encore présent dans les toiles précédentes, fait place l'inertie de la mort d'un monde lunaire creusé de cratères, un monde figé que des lignes qui forment une sorte de grillage, rendent inaccessible. Les paysages de Vladimir Velickovic sont les supports de projection de sa vision du chaos. Au bord de "l'abstraction", ils rendent visible l'absence de l'homme, son anéantissement. Ils permettent également de repenser la figuration et la non-figuration en dehors des catégories strictement formelles définies par l'histoire de l'art, dans leur rapport à l'Histoire du XXème siècle et du XXIème qui s'annonce comme sa répétition, rapport dans lequel le choix de la forme n'est pas seulement de nature esthétique mais se double d'une dimension éthique.
Troisième temps de l'œuvre, le temps de l'ensevelissement des formes et de l'effacement de l'homme.
"Mais que deviendrait l'art, en tant qu'écriture de l'histoire, s'il se débarrassait du souvenir de la souffrance accumulée ?"demande Adorno. Souffrance exposée à notre regard dans les peintures de Vladimir Velickovic contre l'oubli de la violence de l'histoire.
Amélie Pironneau
(1) Académie des Arts et des Sciences Serbe, Centre Culturel Français,Galerie ULUS, Galerie Haos
mis en ligne le 07/04/2003
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