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Les artistes et les expos
Brigitte Nahon : plaidoyer pour un monde fuyant
Les artistes et les expos : Brigitte Nahon : plaidoyer pour un monde fuyant
par Jean-Paul Gavard-Perret

Le problème que pose le travail de Brigitte Nahon reste la double question essentielle : qu’est-ce qui retient et qu’est-ce qui nous libère ? À cette question existentielle, l’artiste répond par tout un système d’oppositions : tension et abandon, présence et absence, légèreté et lourdeur, ou encore dedans et dehors. Lors de sa dernière exposition dans la galerie Jérôme de Noirmont aux espaces plus resserrés que ceux qui ont souvent accueilli l’artiste pour ses travaux antérieurs, celle-ci joue de volumes plus modestes en laissant penser qu’a-priori elle travaille ainsi sur des sortes de lieux plus intérieurs, plus intériorisés.

Cependant, à travers diverses séries de couleurs – du bleu des glaciers jusqu’à des trassages rouges, jaunes et oranges – la clôture, une nouvelle fois, n’est que feinte et piège. Brigitte Nahon arrache son œuvre à la pesanteur au moment où pourtant des éléments " narratifs " pourraient draîner l’œuvre du côté de la terre ou du moins de son attraction. Chez l’artiste, l’être semble ne jamais " achopper sur la bête pliée dans la boutique " selon l’expression de Louise Bourgeois. En un travail qui s’éloigne de plus en plus de l’austérité, qui gagne chaque fois en liberté, en alacrité, en acidité joyeuse, aux " opérations " des débuts succèdent des " opera " : il est toujours question d’ouverture, d’incision (de lumière), mais il ne s’agit plus d’extraire, il faut élever.

Rien de mystique toutefois : avec par exemple les " danseurs déguisés " et métaphoriques qui, entre deux " murs " de tulle s’extirpent des effluves du réel, il ne semble pas qu’il s’agisse de créer des reposoirs ou des images votives. On touche plutôt là, de manière sophistiquée, à une vitalité primitive, l’artiste donnant toujours l’impression que soudain quelque chose échappe au fond substantiel de sa conscience. Existe un " décrochage " des figures qui entrent dans notre inconscient par des mouvements quasi immobiles parfois, mais qui témoignent d’une véritable force perturbatrice.

Au milieu des blocs transparents renfermant des formes aux couleurs vives, Brigitte Nahon ne montre pas une finitude : elle donne sa chance à des fragments éphémères d’infini. Loin de toute crucifixion, une naïveté complexe, un primitivisme calculé, fonctionnent à la fois contre l’angoisse et en plein dedans. Dès lors, ces œuvres nous laissent toujours plus à nu dans l’intensité étincelante de leur propre " creux ". Ainsi, pour celui qui regarde les cubes de Nahon – qui n’ont rien à voir avec ceux de Tony Smith et en sont même le parfait contrepoint – il s’agit d’effectuer un voyage de quasi science-fiction. L’œuvre nous emporte en démentant les lois de la gravité, et aussi les règles qui régissent nos façons de voir et peut-être de penser. Tout se passe comme si Brigitte Nahon pénétrait dans l’être pour en saisir l’aube ou le crépuscule et ouvrir, sinon à une renaissance (il ne faut pas se faire d’illusion) mais à des apparitions.

La créatrice nous rapproche de l’aurore anarchique d’une autre réalité. Contre les images-modèles, à travers ses structures, Brigitte Nahon nous arrache aux terres marquées du sceau du sang des sacrifiés pour leur insuffler cette légèreté, ce supplément de couleur. À la chair des nuits répond cette sorte d’état second, ce paradoxal hymne à la joie. L’œuvre est à ce titre autant métaphysique que physique, autant trace qu’évocation. Ses stratagèmes nous font sortir des sommeils d’une civilisation hyper-matérielle bien connue de l’artiste qui a choisi de vivre à New York depuis plusieurs années.

C’est peut-être une manière de dire " adieu à l’impossible " selon la formule de Blanchot. Grâce à l’œuvre, la vie n’est plus tenue à distance, elle n’est plus chargée d’une faute de naissance, d’un poids de matière. Ici la terre n’aspire plus l’être afin de s’en nourrir, car ces travaux deviennent notre corps ailé, ou du moins le moyen de l’éprouver, de le rencontrer sans pour autant fuir notre peau.
Même à ceux qui n’ont jamais osé chercher le réel ailleurs que les pieds sur terre, Brigitte Nahon leur permet paradoxalement de le retrouver. Entre délicatesse et prouesse technique, son œuvre ne nous protège pas du monde, et c’est pourquoi elle nous attire : elle offre un accès à ce qui est enfoui en nous en attribuant à nos fantômes les plus noirs des figures inversées dont l’humour n’est pas le moindre piment.


Michel Tyszblat - Michel Tyszblat - Michel Tyszblat Michel Tyszblat (Galerie du Centre, novembre)

Tyszblat est de retour avec une série de tableaux aux couleurs éclatantes, qui plus que jamais fonctionnent comme les improvisations au piano où l’on sait qu’il excelle (Tyszblat est un musicien de jazz au talent reconnu). Ce peintre est décidément un véritable artiste moderne : ayant assimilé les avant-gardes historiques et ses propres audaces de jeunesse, le voici qui peint pour la joie de peindre et de communiquer son plaisir, avec en particulier une science des passages et des transitions que l’on croyait perdue et qui fait mon admiration.

J-L C.
Tyszblat, Peinture, 2002
Jean-Paul Gavard-Perret
mis en ligne le 18/01/2003
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