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Editorial : " ça marche, la peinture ?"
editorial : La question de l'art sacré par Jean-Luc Chalumeau
par Jean-Luc Chalumeau

La 7 émé Biennale de Lyon intitulée « C’est arrivé demain », qui vient de fermer ses portes le 4 janvier, aura été un des événements les plus significatifs de la scène artistique internationale depuis plusieurs mois. Une réussite, m’a-t-il semblé, à l’aune des intentions des commissaires (Xavier Douroux, Franck Gautherot, Eric Troncy, Anne Pontégnie et Robert Nickas) ainsi résumées par Paul Ardenne : « mettre l’accent sur l’art comme expérience, comme pratique singulière, engageant l’artiste dans un itinéraire incomparable où affirmer sa subjectivité sinon, à la limite, un dandysme de notre temps ».

Mike Kelley et Paul Mc Carthy, Sod & Sodie Sock Comp O.S.O., 1998L’art comme expérience et comme pratique « singulière » : dès l’entrée de La Sucrière (nouveau lieu conquis par la Biennale en bord de Saône en remplacement de la Halle Tony Garnier), le pari était joliment tenu par un ancien, Piero Gilardi, qui accueillait lui-même les visiteurs dans son environnement, le jour du vernissage. Il s’agissait pour lui de réactiver une pièce du début des années 80, les Vignes dansantes, pionnière dans l’utilisation des nouvelles technologies. Il fallait le voir abordant gentiment une jeune femme intimidée par son dispositif, lui montrant comment plaquer ses mains sur les écrans disposés autour d’une sorte de menhir central, et la faire sourire à la vue des images déclenchées par son geste : les vignes en plastique du décor devenant un film fantastique projeté au plafond, aspirant l’environnement au son d’une musique techno.

Piero Gilardi, en cette biennale transhistorique mixant les générations, appartenait au groupe des artistes occupant la scène de l’art depuis plusieurs décennies, avec Robert Grosvenor, Daan van Golden, Yayoi Kusama, Vito Acconci, Bruno Gironcoli, Gustav Metzger, Christian Boltanski ou Larry Clark. Né en 1945, mais associé à Mike Kelley de dix ans son cadet, Paul McCarthy apparaissait comme l’un des meilleurs représentants de la génération intermédiaire précédant les jeunes nés après 1975. C’est certainement lui qui attirait le plus l’attention avec Sod & Sodie Sock, vaste installation déjà présentée à la Sécession de Vienne en 1999 : un camp militaire complet associant la sculpture, la photographie, la musique et la vidéo (une scène en boucle montrant des travestis hilares, nus sous des peignoirs largement échancrés) de manière à « composer un univers grotesque » (précisait le dossier de presse) où « les valeurs de l’art moderne rencontrent celles du divertissement populaire ». Si l’on acceptait de jouer le jeu, on était effectivement « mis à l’épreuve » d’une situation « où Pollock et John Wayne sont associés dans un camp militaire infernal. » On l’aura compris, la Biennale de Lyon 2003 était tout ce que l’on veut sauf ennuyeuse. Deux derniers exemples : d’une part, l’environnement ludique de Claude Lévêque sur le thème de la poupée Barbie (dont on ne voyait qu’un soulier géant à talon) mêlant, au son d’une valse, le spectacle de néons et de ventilateurs colorant et faisant tournoyer des voilages ; d’autre part, les très curieux films de Hiraki Sawa (né en 1977, un des meilleurs représentants des jeunes invités) montrant des avions miniatures envahissant peu à peu un appartement.

Yann Dugain ("IAN"), détal de lMais la peinture ? demanderont immanquablement certains. Elle était incontestablement présente, avec Christopher Wool (né en 1955 à Chicago, travaille à New York), sous la forme de très grandes compositions all-over : huit pièces conçues comme une oeuvre unique. Environnementales par conséquent, comme l’étaient celles de Bertrand Lavier entourant sa voiture « manipulée ». Oui, vraiment, cette Biennale était celle des pratiques singulières plus ou moins réussies, y compris sous forme peinte, dont aucune ne laissait indifférent, mais elle ne laissait évidemment aucune place à l’objet-tableau.

C’est un fait maintenant avéré : les peintres peuvent être présents dans les grands rendez-vous internationaux, mais, sauf rarissimes exceptions (il y en avait à la biennale de Venise), à la condition de renoncer à l’objet le plus caractéristique de la culture occidentale depuis le Quattrocento : le tableau.

Parmi les peintres, certains s’en plaignent (ouvertement ou secrètement) mais d’autres en prennent acte avec humour. C’est le cas de Yann Dugain qui vient de proposer une exposition particulièrement tonique et rafraîchissante galerie RX à Paris sous le titre « La Peinture, c’est quelqu’un ? » et sous le pseudonyme de IAN (on peut traduire si l’on veut « Institut de l’Art Nul » ou bien « Nouveau »…). Il s’agissait d’un environnement sur deux étages, à travers lequel l’objet-tableau, précisé ment, subissait l’éclatement de ses composants traditionnels (éclatement bien plus radical que celui opéré jadis par les artistes de Support/Surface), la peinture se personnifiant en changeant de couleur, de support et de place au gré de la fantaisie débridée de l’artiste. Un seul exemple : Yann Dugain s’entend (trop) souvent demander si « ça marche la peinture ? ». Alors son alter ego IAN a peint en blanc une douzaine de paires de chaussures de sport, installées là comme d’irrécusables témoins du fait que, oui monsieur, la peinture, ça marche! Le tout, naturellement, est de ne pas s’accrocher à ce fameux objet-tableau dont nos décisionnaires de l’art ne veulent plus et, au moins pour un temps, faire de la peinture autrement...
Jean-Luc Chalumeau
mis en ligne le 26/02/2004
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