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Éditorial
Vite, des états généraux de la culture !
Lettre ouverte à la personne occupant désormais l’Élysée
Éditorial : Vite, des états généraux de la culture ! Lettre ouverte à la personne occupant désormais l’Élysée. par Jean-Luc Chalumeau
par Jean-Luc Chalumeau
Madame la Présidente ou Monsieur le Président, Nous rédigeons cette lettre à la fin du mois de février après avoir épluché les programmes et déclarations des candidats concernant les dossiers culturels – ceux des arts plastiques en particulier. Dominique Boniface a passé au crible les positions de Ségolène Royal, Laurent Thierry a fait de même avec celles de Nicolas Sarkozy, et Humbert Fusco-Vigné a confronté les propositions de François Bayrou à celles de tous les autres candidats. Nous avons accompli ce travail nécessaire au moment où le journal Le Monde du 16 février titrait : « Candidats, exprimezvous! » en rappelant que dès l’automne 2006 une pétition lancée par la revue Cassandre constatait « l’absence de véritable projet culturel » dans tous les partis.

Au moment où paraîtra cette lettre, les jeux seront faits : vous serez au sommet de l’État, en attendant de savoir si les élections législatives confirmeront votre victoire : surtout n’en tirez pas argument pour temporiser, car il y a urgence.
Vous êtes sans doute conscient du fait que les gouvernements Raffarin et de Villepin ont présenté un bilan culturel négatif: il y a eu baisse réelle du budget de la culture malgré les stratagèmes mis en place pour faire apparaître des augmentations: dès 2003, alors que le budget était officiellement en hausse de 3,9%, la réalité a été une baisse de 5,5% en raison d’une dégringolade des crédits de paiement, et cela a continué par la suite. «A l’approche des élections, note Dominique Boniface, une hausse des crédits des Monuments Historiques a été programmée, mais la création est en revanche sacrifiée: hors grands établissements publics et fonds de professionnalisation, les crédits du spectacle vivant consacrés aux institutions et aux compagnies n’augmenteront que de 1,2% soit moins que l’inflation. Le développement culturel est plus mal traité encore, c’est-à-dire les actions en région, et celles en faveur des publics et des politiques territoriales : ici, c’est tout simplement l’effondrement (-20%) ».

La France est endettée, l’État est appauvri, et vous avez beaucoup promis. Qu’allez-vous réellement faire? Revenir à l’initiative privée en l’encourageant fiscalement? «Ce sont maintenant les mentalités qui doivent changer. La France doit être un pays qui valorise ses mécènes, ses collectionneurs, ses fondations» a dit Nicolas Sarkozy. Fort bien, mais si l’État n’a aucun projet culturel, Laurent Thierry observe qu’il y a lieu de s’inquiéter, «car Monsieur Sarkozy omet de poser la vraie question. Quelle culture s’agit-il de promouvoir dans la France contemporaine? Une culture de la réflexion, de la rébellion, de l’innovation, fût-elle élitiste, ou une culture de la distraction, du consensus, de l’ordre établi?».

Le retour à la priorité budgétaire de la culture, première des vingt mesures du programme d’action pour 2007 de Ségolène Royal ? « Les moyens budgétaires retrouveront et dépasseront les plus hauts niveaux connus sous la gauche depuis 1981 ». C’est sympathique, mais cela risque de ne pas durer longtemps : nous savons tous que la contrainte budgétaire va être très forte pendant des années.

François Bayrou, qui veut en priorité valoriser le patrimoine linguistique français, est on ne peut plus prudent sur la question du financement de ses projets : « Il faut renouveler les financements de la culture dans un équilibre subtil entre la liberté de création et la pluralité des financements publics et privés, et continuer à encourager le mécénat. » Ce sera subtil en effet! Quant au programme, Humbert Fusco-Vigné n’a pas manqué d’observer que chez Sarkozy comme chez Bayrou, « …les retraits et absences de propositions sur certains sujets délicats n’en sont que plus visibles : par exemple, chez Sarkozy, à propos des médias, rien sur la presse, ni sur la télévision, ni sur les radios, ni sur le budget de la télévision publique. Idem chez Bayrou avec rien sur le cinéma, les radios, le budget de la télévision publique…»

Bref, Monsieur le Président ou Madame la Présidente, vous avez annoncé de louables intentions, non sans d’intéressants points de convergence avec vos concurrents (vous êtes tous d’accord pour relancer l’éducation artistique à l’école, l’excellent plan Lang-Tasca de 2000 ayant été abandonné de fait faute de crédits et de soutien par tous les gouvernements depuis lors), mais vous ne nous avez pas rassurés quant aux moyens de les mettre en oeuvre.

Lors d’une rencontre avec des artistes, François Bayrou a lancé l’idée de convoquer des « États Généraux de la Culture » : ce n’est guère original, mais c’est peut-être ainsi que l’on pourrait parvenir à une hiérarchisation des priorités compatible avec les moyens financiers disponibles. C’est surtout ainsi que l’on pourra établir un état des lieux vingt cinq ans après les grandes réformes lancées en 1982 par Jack Lang, elles-mêmes formulées, en ce qui concerne les arts plastiques, après la réunion des « États Généraux des Arts Plastiques » à Créteil le 21 novembre 1981. «Il faut que vous réclamiez des changements importants » avait dit Jack Lang aux 2000 artistes venus de toute la France à ces États Généraux. Il y a eu pas mal de réclamations en effet, et beaucoup de réalisations, dont la décentralisation artistique qui a profondément modifié la situation. Désormais les événements et les initiatives sont au moins autant le fait de la province que de Paris.

Madame la Présidente, Monsieur le Président, il serait bon d’établir ce nouvel état des lieux pour définir – enfin – un véritable projet culturel tout en prenant bien garde à ne pas considérer les artistes comme des quémandeurs et des assistés. Avec ces États Généraux, ils devront être des partenaires à part entière. Le regretté José Pierre avait envoyé une contribution au rassemblement de Créteil qui était l’expression d’une crainte, et la période qui a suivi a montré qu’il avait malheureusement raison. Voici l’expression de cette crainte, que nous partageons un quart de siècle plus tard : « Il faut décourager les beaux-arts disait Degas, en un temps où les artistes d’avant-garde crevaient littéralement de faim. Au même moment, cependant, les artistes officiels croulaient sous les commandes, les ors et les honneurs. Et l’art moderne est né pour une large part du refus de ces commandes, de ces ors et de ces honneurs… N’existerait-il plus aujourd’hui que des artistes officiels: ceux qui sont parvenus à s’imposer comme tels et ceux qui voudraient bien y parvenir? Sans vouloir insulter personne, c’est bien ce que je crains… » Monsieur le Président, Madame la Présidente, organisez s’il vous plaît des États Généraux de la culture, mais, de grâce, avec le moins possible d’artistes officiels.
Jean-Luc Chalumeau
mis en ligne le 30/07/2007
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