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[verso-hebdo]
10-03-2022
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Themerson Archives, volume 1 : letters and documents, edited by Jasia Reichardt & Nick Wadley, The MIT Press, Cambridge, Massachusetts, London, England, 472 p.

The Themersons, volume 2, edited by Jasia Reichardt & Nick Wadley, The MIT Press, Cambridge, Massachusetts, London, England, 372 p.

Gaberbocchus, volume 3 The Themerson Archive, edited by Jasia Reichardt & Nick Wadley, The MIT Press, Cambridge, Massachusetts, London, England, 260 p.


Stefan (Plock 1910-Londres 1988) et Franciszka (Varsovie 1907-Londres 1988) Themerson n'ont pas été particulièrement appréciés de leur vivant ni dans leur pays d'adoption (la Grande-Bretagne) ni ailleurs. Ils ont néanmoins poursuivi leur oeuvre avec ténacité et bonheur, le premier comme écrivain et éditeur, la seconde comme peintre et illustratrice. Stefan Themerson a vu le jour dans l'Empire russe (aujourd'hui en Pologne depuis 1918). Son père était médecin et aussi écrivain à ses heures. Déjà lycéen, il se passionnait pour la photographie, Il est entré à la faculté de médecine en 1927, mais au bout d'un an, il s'est inscrit au Polytechnique pour étudier l'architecture. Il s'est employé dès cette époque à faire des films, prendre des photographies et des collages. Il n'a pas quitté la faculté, mais s'est peu à peu désintéressé de la question architecturale.
Il a rencontré Franciszka Weinles, qui est aussi étudiante. C'était la fille d'un artiste, Jakub Weinles, et de la pianiste, Lucja Kaufman. Elle est entrée à à l'Ecole de Musique Chopin et à l'Ecole des Beaux-arts où elle s'est diplômée en 1931 et ils se sont mariés cette même année. Stefan T. a collaboré à plusieurs revues et a écrit une dizaine de livres pour enfants. Il a aussi tourné un certain nombre de films d'avant -garde, qu'il a réalisés avec son épouse. Le premier a été Atepka (Pharmacie) et le second Europa, d'après un poème d'Anatol Stern (1930-1031). D'autres ont suivi jusqu'en 1937 (Moment musical en 1933, Court circuit en 1935, Aventures d'un bon citoyen en 1937), mais tous ont été perdus, seul Europa a été retrouvé récemment. Elle a illustré les livres pour enfants écrits par son mari.
En 1935, le couple a fondé la société cinématographique coopérative S.A.F., Spòldzielnia Autoròw Filmowiych. Ils se rendent à Paris en 1936 et en 1937 et aussi à Londres, où ils ont fait la connaissance de Moholy-Nagy. A leur retour à Varsovie, ils créent une revue sur le film d'avant-garde, Film artistique. Le troisième numéro, sur le cinéma polonais, n'a pas pu paraître. La déclaration de la guerre met un terme à leurs projets créatifs. Franciszka Themerson a rejoint le gouvernement polonais en exil à Londres et Stefan Themerson est allé combattre en France. Les conjoints sont séparés et Stefan est parvenu à contacter son épouse grâce à l'intermédiaire de la Croix Rouge (les lettres privées qui ne leurs sont pas parvenus ont été publiées par les soins de Jasia Reichardt en 2013). En 1942, Stefan Themerson a réussi à se réfugier à Marseille et, de là, a quitté la France, a traversé l'Espagne et s'est rendu au Portugal. Il a fini par arriver en Ecosse en 1942 grâce à la R.A.F.. Une fois à Londres, il a achevé la rédaction de son oeuvre de fiction, Professor Mmaa et le poème en français, Croquis dans les ténèbres.
Il rejoint alors le noyau cinématographique du ministère polonais de l'information et de la documentation. Il a alors réalisé deux films : Calling Mr Smith et The Eye and the Ear, documentaire sur les atrocités commises par les nazis en Pologne. Il a adhéré au Pen Club et a fait la connaissance de Kurt Schwitters, dont il devint un ami très proche (il a écrit plus tard un livre sur son compte, Kurt Schwitters in England). Quant à Franciszka, elle a composé un recueil de dessins, Forty Drawing for Friends, 1940-1942, publié en 1943. La guerre terminée, le couple a pu se consacrer pleinement à ses activités, qui sont assez diversifiées. Franciszka s'est dédiée à la peinture et au dessin et a aussi contribué à la fondation de la maison d'édition appelée Gaberbocchus Press (qui est la transposition facétieuse du nom du personnage de Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles, Jabberwocky). L'entreprise a vu le jour en 1948.
Depuis cette date, Stefan Themerson a publié la quasi-totalité de ses livres sous ce label et Franciszka a illustré ses livres, mais aussi bien d'autre, en particulier Ubu roi d'Alfred Jarry dont cette petite officine a fait paraître la traduction d'un ouvrage de cet auteur pour la première fois en Angleterre en 1951. Il y eut une réédition peu après, en 1961. Pour Franciszka, cela a été une source inespérée de travaux, comme la comédie de marionnettes déclinée d'Ubu roi et une autre qui était l'autre pièce de Jarry, Ubu enchaîné. Dans le second volume des Archives, le lecteur trouvera des photographies du spectacle d'Ubu roi représenté à Stockholm en 1964, mais aussi des dessins préparatoires des décors et des costumes à côté des scènes du spectacle - c'est une véritable mine d'or ! Ce volumineux ouvrages contient une foule de documents précieux pour découvrir le petit monde des Themerson comme, par exemple, un jeu d'échecs, des photogrammes, des coupures de presse, des dessins, bien entendu.
Tout ce qu'il y a à savoir, en fonction de ce qui a pu être conserver ou retrouver se trouve dans ces pages. Il est indispensable pour le chercheur, mais il est aussi intéressant pour l'amateur qui a le désir d'en savoir plus sur ces deux figures d'une incroyable créativité. Les premiers volumes publiés par Gaberbocchus Press ont été, dans l'ordre chronologique : Jankel Andler - An artist seen from one many possible angles de Stefan Themerson, 1948, The Fox and the Eagle 1 the Fox & the EagleTwo versions asemantically versions & a revised application, AEsop, 1949, The Crown and the Fable, Hugo Manning, 1950. Mr Rousse Builds his House, Stefan Themerson and Barbara Wright, 1950, Woolf Woolf, or Who Killed Richard Wagner ?, Stefan Themerson, 1951, This Room before Sunrise, Hugo Manning, 1952, The Good Citizen's Alphabet, Bertrand Russell, 1953. La traduction anglaise du livre de Raymond Queneau, Exercices de style est sorti de presse en 1956. En 1958 paraît Kurt Schwitters in England et Europa d'Anatol Stern en 1962. Gaberbocchus Press n'a jamais eu un développement commercial très important et n'a d'ailleurs jamais eu l'ambition d'être autre chose qu'une petite officine très confidentielle pour diffuser les oeuvres de ses créateurs et puis quelques amis talentueux. Bertrand Russell, Alfred Jarry et Raymond Queneau ne sont que des exceptions dans ce contexte très particulier. Rétrospectivement, cela donne le sentiment d'avoir été une aventure hors du commun alors que ce n'a été qu'une expérience assez confidentielle. Mais le talent de Franciszka et de Stefan Themerson n'a pas été reconnu de leur vivant à l'exception de quelques esprits curieux et avisés. Jamais la bonne société culturelle britannique ne les a vraiment acceptés. Aujourd`hui, on ne peut qu'admirer les textes mis sous presse, la beauté et l'originalité des jaquettes, la qualité raffinée des illustrations et la mise en page, de la typographie. Le troisième volume de ces Archives offre une vision très détaillée de ce qu'a pu être cette maison d'édition peu commune.
Le seconde tome de ces Archives contient encore d'autres merveilles. A commencer par une biographie détaillée de Franciszka Themerson, avec beaucoup de portraits depuis sa prime enfance jusqu'à ses dernières années et de nombreux dessins, qui permettent de voir l'évolution de son travail, mais aussi les nombreuses directions qu'elle a pu emprunter au cours de son existence. C'est en fin de compte la première biographie complète que nous pouvons consulter à son sujet. Tous les aspects de son art sont donc à portée de main et nous démontrent l'incroyable registre de ses facultés artistiques. Ses expositions sont cataloguées et aussi tous les articles concernant ses apparitions publiques. C'est absolument fascinant car on prend conscience qu'elle a été un artiste de grande valeur, mais qu'elle a eu, malgré le mépris quasi général, un certain nombre d'occasions de présenter ses oeuvres dans des galeries ou des lieux d'exposition publics, telle la Whitechapell Gallery à Londres en 1975. Son cas n'est pas exceptionnel : il n'est pas rare qu'un artiste ait eu des opportunités nombreuses et intéressantes de dévoiler ses travaux et de ne jamais avoir de réelle reconnaissance.
Une large place est laissée aux livres d'enfants, et ce n'est que justice car elle a illustré beaucoup d'ouvrages écrits par son mari. C'était pour eux deux une activité esthétique tout aussi importante (et plaisante) que le soi-disant « grand art ». Quand on observe ses créations picturales, on se rend facilement compte qu'il y a une point d'« art brut » dans ses compositions, qui ont un indéniable caractère ludique. Pour ne parler que du XXe siècle, on a mis longtemps à donner leur véritable valeur aux tableaux et aux sculptures des vorticistes anglais, tout comme d'ailleurs aux membres du groupe du Bloomsbury, à commencer par Vanessa Bell et Duncan Grant, sans parler de Roger Fry. Les voir accrochés aux cimaises de la Tate Modern a demandé pas mal de temps ! Franciszka Themerson n'est pas encore arrivée à ce point à plus de trente ans de sa mort ! Il semble évident que cet impressionnant catalogue saura persuader les responsables des grandes institutions européennes de lui accorder une attention majeure. En attendant, les expositions personnelles se multiplient en Angleterre et c'est indéniablement un grand pas en cette direction. A noter que la Pologne a aussi commencé à s'intéresser à ce couple d'exception, ce qui n'est que justice.
La littérature de Stefan Themerson (je laisse ici de côté ses écrits pour l'enfance) n'a guère eu plus de succès. Les rares traductions de ses livres en français, d'abord Le Cardinal Pölätüo (publié à l'origine par Jean-Jacques Pauvert en 1968 et réédité par Allia en 2017), puis Bayamus et Oiuaff, ouaff, ou qui a tué Richard Wagner ? réunis en un seul volume chez Christian Bourgois éditeur, dans la collection « les derniers mots », traduit de l'anglais par mes soins (le premierr titre a été réédité par Allia), n'a pas vraiment trouvé ses lecteurs. En somme, Themerson est encore un écrivain quasiment inconnu ! C'est curieusement le cinéma expérimental qui le fait actuellement sortir des limbes. L'an passé, il y a eu la présentation d'Europa d'Anatol Stern, que le couple avait tourné entre 1931 et 1933 à la cinémathèque du Centre Pompidou de Paris. Ce qui est regrettable, c'est que la singularité de sa démarche et aussi sa conception de la « poésie sémantique » n'aient pas été » comprises du tout. Il est vrai que sa théorie flirte avec la philosophie pragmatique anglaise et que ses raisonnements plutôt ludiques qui singent les spéculations savantes des initiateurs de cette doctrine qui n'a eu de poids que dans les pays anglo-saxons, ne parlent pas à beaucoup de monde. De Bayamus, paru en 1965 à Semantic Poetry, publié en 1975, partant de Professor Mmaa's lectures jusqu'à The Mystery of the Sardine, il a été un des plus grands maîtres de l'avant-garde de l'après-guerre, sans que quasiment aucun des groupes d'avant- garde de cette période ne s'intéresse à lui. Cela demeure à mes yeux un mystère, surtout en France où les revues ont souvent accepté de publier des extraits de sa prose (je pense à L'Ennemi, à Dirty, à Impasses, à Textuerre, etc.), mais l'impact de ces traductions est resté sans effets concrets. Il y aurait tant d'autres choses à dire sur Stefan Themerson, par exemple sur son unique opéra, St. Francis and the Wolf of Gubbio (Gaberbocchus, 1972). Les livres d'enfants commencent à intéresser les éditeurs : les éditions Conférence ont publié en 2019 la traduction de La Maison de Monsieur Raison, une petite merveille dans son genre autant pour le texte que pour les images ! Cette titanesque recherche de Jasia Reichardt et du regretté Nick Wadley devrait inciter de jeunes chercheurs à poursuivre cette tâche énorme et à donner une impulsion à la redécouverte de ce couple qui mérite d'être célébré (il n'est plus que temps de leur rendre hommage).
Gérard-Georges Lemaire
10-03-2022
 
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Verso n°136

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